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Grand Angle

Quelle place pour les musulmans et l'islam dans l'histoire de France ?

Ce n’est qu’à partir de la Première Guerre mondiale et la participation de soldats ouest-africains et maghrébins, ainsi que leur loyauté sans conteste à la France, que cette dernière a enfin accepté de reconnaître l’Islam sur territoire.

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La mosquée de Châteauroux, en France. / Ph. Belga
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Alors que les débats sur l’intégration supposée des musulmans en Europe sont aussi légion qu’houleux, ne faut-il pas rappeler que la France, en l’occurrence, et l’Islam entretiennent depuis des siècles d’étroites relations, comme l’indiquait en 2006 l’anthropologue et historienne franco-tunisienne Jocelyne Dakhlia dans un long article intitulé «Musulmans de France, l’histoire sous le tapis», publié dans la revue politique et philosophique Multitudes ? C’est que pour elle, nulle nécessité de parler d’«intégration» des musulmans : «ils sont déjà là». «Si nous ne le voyons pas, c’est parce que l’Islam a constitué longtemps un ''impensé'' de la politique officielle française (et des militants anticolonialistes français) : l’Islam, c’était l’autre rive de la Méditerranée, les immigrés ouest-africains et maghrébins sur le territoire métropolitain n’étant jamais perçus comme des Musulmans», écrit-elle.

Il faut dire pourtant que l’islam en France fut peu palpable sous l’Ancien Régime (fin du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle) et la Révolution française (1789). «Contrairement au monde musulman qui a abrité de tout temps des minorités chrétiennes et juives, la France jusqu’au XXe siècle ne fut pas une terre d’accueil pour les musulmans», souligne l’historien franco-turc Faruk Bilici, spécialiste de l’histoire ottomane et de la Turquie contemporaine, dans «L’Islam en France sous l’Ancien Régime et la Révolution : attraction et répulsion» (2003). Avant l’Ancien Régime et la Révolution française, les guerres de religion qui se succédèrent n’incitèrent pas les musulmans à venir s’installer en France, de même que le pouvoir politique qui «ne voyait pas non plus d’un bon œil la présence des diplomates et des commerçants musulmans installés longtemps en France».

Une curiosité française à l’égard du musulman

Entre la fin du Moyen Âge et la fin du XVIIIe siècle, les musulmans sont avant tout les Turcs et les Ottomans, a expliqué l’historien français Gilles Veinstein, spécialiste d’histoire turque et ottomane, lors d’une conférence intitulée «Quelle place pour l’islam et les musulmans dans l’histoire de France ?» (tirée d’un ouvrage éponyme – éd. de la Bibliothèque publique d'information, janvier 2014) retranscrite par la Bibliothèque du centre Pompidou. «Ce ne sont plus, comme au Moyen Âge, les Arabes ou les Berbères», ajoute-t-il.

Entre les XVIe et les XVIIIe siècle, les Français sont en réalité très peu susceptibles de croiser des musulmans ou des Turcs : il n’y en a pratiquement pas en France. Cela ne veut pas dire pour autant qu’ils n’en entendent pas parler et ne nourrissent pas une certaine curiosité à leur égard : «(…) quand, dans des occasions qui restent exceptionnelles, arrivent des ambassades envoyées par le sultan d’Istanbul au roi de France, ce sont des événements extraordinaires qui suscitent une curiosité prodigieuse, tant les gens sont avides de voir enfin des Turcs», souligne Gilles Veinstein.

«(…) Longtemps le musulman a été une figure de l’Autre radicale, très lointaine, avec une représentation qui venait jusqu’en Occident, et particulièrement en France, mais qu’on ne le connaissait pas. Si on n’est pas habitant de Toulon en 1543 – lorsqu’un grand nombre de soldats arrivent en France pour célébrer l’alliance avec l’Empire ottoman –, on ne verra pas de musulmans ou de Turcs de toute sa vie», abonde le journaliste Emmanuel Laurentin, animateur de l’émission La Fabrique de l’histoire sur France Culture. «L’absence d’expérience directe favorise toutes les idées reçues et la formation des mythes», complète Gilles Veinstein.

La plus vieille mosquée encore active est à Mayotte

Il y a bien un endroit où Français et musulmans purent se rencontrer, même si cette rencontre avec l’Islam et ses fidèles ne fut pas des plus positives : la mer Méditerranée. «Cette mer, qu’un historien italien a appelée à juste titre la ''mer de la peur'', peut vous valoir la mésaventure d’être capturé par ceux que l’on appelle les corsaires barbaresques. Ces corsaires étaient considérés comme des Turcs, à l’instar des autres musulmans. Alors, en un instant, votre destin était bouleversé (…) C’était là une occasion – fort négative assurément – de rencontre avec l’islam», poursuit Gilles Veinstein. Pendant des siècles, l’islam et les musulmans n’ont donc été, pour beaucoup, qu’une religion et une culture méconnue, qu’on ne voyait pas mais dont on entendait parler et à propos desquelles on nourrissait un certain nombre de fantasmes. Sur ce point, les temps n’ont pas beaucoup changé.

Il faudra attendre la Première Guerre mondiale et la participation massive de soldats ouest-africains et maghrébins, «et la révélation de la loyauté de ces régions de l’empire», pour que la France reconnaisse enfin l’Islam sur son territoire, rappelle Jocelyne Dakhlia. «Il a fallu attendre 1937 pour que soit construite la Mosquée de Paris, la première mosquée officielle en France métropolitaine, en gage de reconnaissance», ajoute l’historienne franco-tunisienne. La plus vieille mosquée en activité de France est située à Tsingoni sur la Grande-Terre de Mayotte, département où 95% de la population est musulmane. Elle remonte au moins au XVIe siècle.

La mosquée de Tsingoni, dans le département de Mayotte. / Ph. Le Journal de MayotteLa mosquée de Tsingoni, dans le département de Mayotte. / Ph. Le Journal de Mayotte

Dans «La mosquée de Tsingoni (Mayotte) Premières investigations archéologiques» (2018), les cinq auteurs apportent quelques précisions sur les lieux : «Le sultan Haïssa y bâtit la mosquée qui subsiste encore aujourd’hui, quoiqu’en très mauvais état. Les murs très épais sont en chaux et corail et la couverture en feuille de cocotiers. Deux rangées de lourds piliers partagent l’intérieur en trois petites nefs. De chaque côté de la niche du chœur on voit deux versets du Coran inscrits en lettres arabes sur des plaques de terre cuite, couvertes d’un vernis de couleur verte. Une autre inscription, également en pur arabe, indique que la mosquée a été bâtie en l’an 944 de l’Hégire (1566).»

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