Oui, la France reste le premier pays d’accueil des émigrés marocains, selon Thomas Lacroix. Ce spécialiste des Marocains vivant en France fait le point dans son article «Les Marocains en France : maturation d’une communauté transnationale», paru cette année, sur l’état de la communauté et ses dernières évolutions, après la crise de 2008 et avec l’émergence de nouveaux pays d’émigration. Finalement, la France compte non seulement toujours la plus grande communauté de MRE du monde avec 722 000 immigrés et 330 000 descendants d’immigrés, mais en accueillant chaque année, en moyenne depuis 2000, 20 000 nouveaux arrivants marocains auxquels s’ajoutent plusieurs milliers de saisonniers, elle surpasse tous les autres nouveaux pays d’émigration. Surtout, alors que la crise de 2008 avait vu le nombre de nouveaux Marocains arrivant en Espagne s’effondrer de 70% jusqu’en 2011, le nombre de nouvelles arrivées ne s’était réduit, pour la France, que de 13 %.
De fait, si la France conserve une forte attractivité, elle n’est plus le lieu, comme elle le fut dans les années 60 et 70, où les Marocains cherchent un travail rémunérateur, contrairement à l’Espagne, l’Italie ou les pays du Golfe. L’immigration marocaine en France est essentiellement constituée par le regroupement familial. Il est le motif invoqué dans 55% des titres de séjours accordés par la France, soit 14 827 titres en 2016. Cette année-là, seules 2 600 cartes de séjours ont été délivrées pour le travail. S’ajoutent encore, toutefois, une immigration saisonnière régulière : 4 900 personnes. Le deuxième motif d’émigration vers la France – en pleine croissance, celui-là – est formé par les études. En 2016, toujours, 8 500 jeunes marocains sont arrivés en France pour y poursuivre leurs études. Un nombre en constante augmentation. Au total, ils étaient 38 000 l’an dernier à étudier en France.
Forte reproduction sociale
Concernant la communauté durablement établie en France, Thomas Lacroix a rassemblé un maximum d’informations. Il confirme ainsi la forte reproduction sociale dont souffrent les enfants d’immigrés. S’ils bénéficient bien d’une légère promotion sociale par rapport à la situation de leurs parents, ils restent en bas de l’échelle sociale. Par les études, d’abord : parmi les 20-35 ans, le taux de non diplômés est deux fois supérieur à celui de l’ensemble de la population française (20% contre 11%). Des chercheurs ont montré que cette situation était due, avant tout, aux conditions socio-économiques de la population marocaine.
«Cet écart entre descendant d’immigrés et moyenne nationale est appelé à se réduire dans le temps avec la mobilité sociale.»
Par le travail, ensuite : s’ils participent plus au marché du travail que la moyenne nationale, les descendants d’immigrés marocains sont aussi trois fois plus touchés par le chômage que la moyenne, à hauteur de 28%. Contrairement au niveau de diplôme, leur situation sociale ne permet pas d’expliquer cette extrême pénalisation.
«Il reste une part non négligeable de ce décalage qui n’est pas expliquée par la situation objective des personnes. C’est donc vers les mécanismes de discrimination qu’il faut se tourner pour comprendre les effets de blocages. Différentes études confirment le caractère discriminant du nom et prénom à consonance maghrébine», rappelle Thomas Lacroix.
S’engager au Maroc
L’effet de la discrimination subie par les Marocains en France aurait également un effet plus surprenant : il pousserait une partie d’entre eux à s’engager dans des actions caritatives ou de développement local au Maroc, comme si la place qu’on leur refuse en France, ils cherchaient à la faire valoir au Maroc. De fait avec le durcissement de la loi permettant la naturalisation, le nombre de Marocains acquérant la nationalité française est en réduction constante : 38 000 en 2000 contre 16 662 en 2013.
«Le philanthropisme transnational marocain serait donc l’un des symptômes de la transformation de la population immigrée marocaine en France, la recherche d’une voie entre installation et maintien des liens, une forme d’affirmation d’une nouvelle capacité économique dans l’espace public», écrit Thomas Lacroix.
Avec le temps, le lien des émigrés au Maroc est devenu ambivalent. Ainsi, le chercheur a constaté, en comparant deux études réalisées l’une par des Français et l’autre par des Marocains, que la même année, en 2006, 63% des Marocains émigrés interrogés en France assuraient vouloir passer leur retraite en France quand ils s’adressaient à un enquêteur français, et que la même proportion (65%) d’entre eux répondait le contraire quand ils s’adressaient à un enquêteur marocain. Les chiffres confortent ce constat. 65 000 Marocains de plus de 65 ans sont recensés en France et 60 000 touchent leur retraite au Maroc. Difficile, cependant, de savoir si leur choix d’installation serait le même sans contrainte.
«Les contraintes matérielles (la possession d’un logement, la couverture sociale et sanitaire, la présence des enfants) freinent la réalisation des retours définitifs. Et ce d’autant plus que la pension versée au Maroc est plus faible car indexée sur le niveau de vie du pays d’origine : 318 euros en moyenne en 2013 contre 3 à 700 euros en moyenne en France», indique enfin Thomas Lacroix.