En 1640, sous le règne du sultan saadien Mohammed Al Cheikh Al Charif, une mission diplomatique se rendit à Marrakech pour négocier le rachat de l’équipage d’un navire néerlandais saisi par des corsaires marocains.
L’ambassade néerlandaise, qui avait navigué des Pays-Bas au Maroc, était dirigée par le capitaine de la marine hollandaise et ambassadeur Antonius de Liedekerke, et composée de plusieurs personnalités, dont le peintre et graveur de l’âge d’or néerlandais, Adriaen Matham. Au cours de son séjour à Marrakech, ce dernier «eut pour tâche de garder une trace écrite de la mission, en mots et en images», explique l’historien Thorsteinn Helgason dans son livre «Le plus long voyage des corsaires : le raid turc en Islande 1627» (BRILL, 2018).
En plus de sa mission en tant que membre de l’ambassade des Pays-Bas, le peintre eut l’occasion de s’installer dans l’un des plus beaux palais habités par les sultans saadiens. Selon le livre de l’architecte belge Quentin Wilbaux, «Marrakech : le secret des maisons jardins» (ACR Edition, 1999), l’occasion de visiter le palais Badi se présenta à l’occasion de la réception, par Moulay Mohammed Al Cheikh, de la mission néerlandaise envoyée par les seigneurs des États généraux des Pays-Bas.
La huitième merveille du monde
Admirant le palais et la kasbah, Adriaen Matham passa son temps à Marrakech et «réalisa quelques dessins de la ville», selon Quentin Wilbaux. «À son retour aux Pays-Bas, il fit une gravure à partir de ses dessins, qui sont restés célèbres», précise encore l’architecte belge. La gravure, qui donnait un aperçu de la médina construite par les Saadiens, ainsi que du palais, était accompagnée d’une notice et d’un récit écrit par Adriaen Matham pour consigner les souvenirs de son voyage dans le royaume.
La ville de Marrakech décrite en 1640 par le peintre et graveur néerlandais Adriaen Matham. / DR
Dans la note accompagnant la gravure de Marrakech, le peintre et graveur néerlandais écrit que «la cour royale du Maroc (Marrakech) (…) est un palais sans égal». Donnant une description détaillée du palais Badi, Matham souligne dans sa notice, datée de 1640, que «le palais dépasse de loin, en termes de taille et de splendeur, tout ce qui existe déjà et, par conséquent, ne doit pas seulement être considéré comme la huitième merveille du monde, mais devrait également être connue et nommé comme étant la merveille des merveilles».
Matham, qui se rendit à trois occasions à la cour royale à Marrakech, fut également impressionné par la tour de cet édifice, «construite avec une telle industrie et une telle praticité» que le roi pouvait la gravir lorsqu’il montait à cheval.
«Nous souhaitions vivement examiner la structure en son sein, mais nous ne furent pas autorisés à pénétrer à l’intérieur de leurs temples ou de leurs tours, car cela n’était permis à aucun chrétien», raconte aussi le peintre hollandais, en référence à la mosquée du palais qu’il souhaitait visiter de l’intérieur.
Les trois pommes d’or
Matham écrit aussi que le palais possédait des piliers en marbre, de grands jardins et des étangs, et rapporte même qu’il fut construit par «des chrétiens il y a longtemps».
En plus de la grande tour dont il fait mention dans ses écrits, le graveur néerlandais indique que le palais en possédait une deuxième, «décorée au sommet avec trois pommes en or massif, dont on dit qu’elles pèsent environ sept cents livres (soit 317 kg à peu près)».
Faisant allusion à ce chef d’œuvre, Matham confie plus loin que «les Maures voulaient [lui] faire croire que ces trois pommes dorées étaient sous la coupe d’un sorcier et que le diable briserait le cou de ceux qui oseraient les prendre». En plus du marbre et de l’or, la cour royale abritait un troupeau de chameaux, amenés pendant la journée pour brouter l’herbe.
Bien qu’impressionné par la beauté de Marrakech et du palais royal, Matham refusa de rester au Maroc et de travailler pour le sultan Saadi. «Un autre peintre d’Anvers (en Belgique) et moi-même furent priés de rester au nom du roi, avec la promesse d’un ducat (ancienne monnaie d’argent et d’or circulant à l’origine dans l’Europe du Moyen Âge, ndlr) chaque jour jusqu’à la retraite», rappelle enfin le peintre néerlandais.