L’affaire du Huelva Gate est toujours entre les mains de la justice espagnole. Il y a moins d’une semaine, celle-ci donnait de nouveau raison aux employeurs des saisonnières marocaines, victimes présumées d’agressions sexuelles, qui ont dénoncé les conditions de travail dans les champs de fraises de Huelva.
L’avocate des saisonnières, Belen Lujan, dénonçait dans un précédent article de Yabiladi les nombreux dysfonctionnements et irrégularités recensés lors du procès. Elle affirmait que le renvoi des plaintes concernant les conditions de travail dans les champs se basait principalement sur un rapport de l’inspection du travail qui, «en plus de ne pas être nuancé, ne donne la parole qu’à la partie adverse et principalement une femme, pourtant dénoncée par mes clientes».
La femme en question serait une entremetteuse, selon les témoignages des saisonnières marocaines contactées par Yabiladi. D’après elles, cette femme «parlait à plusieurs filles et leur disaient qu’elles pourraient gagner beaucoup plus d’argent si elles étaient disposées à avoir des relations sexuelles avec les patrons ou avec d’autres hommes».
Des entremetteuses dans les champs ?
Toujours selon les témoignages de plusieurs saisonnières, cette femme n’agirait pas seule : «Elles sont trois ou quatre à entrer en contact avec les saisonnières, en les poussant littéralement à se prostituer. Elles ne travaillent que très rarement avec nous. Il y en a certaines que nous n’avons jamais croisées dans les champs.»
Ces «entremetteuses» se rendent depuis des années à Huelva pour la récolte de fraises et disposeraient de plusieurs avantages sur place, nous expliquent-elles encore. «Elles ne logeaient pas avec nous. Elles avaient de plus grandes maisons avec toilettes et cuisine à l’intérieur. Pour nous, et vu où nous étions dans la ferme, c’était un luxe.»
Si les saisonnières pouvaient refuser les avances des entremetteuses, elles étaient néanmoins conditionnées par plusieurs facteurs ne leur permettant pas d’être pleinement indépendantes. Une autre s’épanche : «Nous étions dans des fermes très isolées où aucun bus ne passait. De plus, aucune sécurité n’était garantie, ni dans les champs, ni dans les fermes où nous dormions. N’importe qui pouvait rentrer à n’importe quel moment.» Etant donné qu’il n’y avait aucun autre moyen de transport pour se rendre en ville et pouvoir faire les courses, elles étaient souvent contraintes de faire de l’auto-stop.
«La première et dernière fois que j’ai tenté de faire du stop, un homme a tenté de me caresser la cuisse, j’ai hurlé et je lui ai dit d’arrêter. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Il a ouvert la portière et m’a abandonnée dans la forêt.»
Ce n’est qu’après qu’elles comprendront que plusieurs hommes, jeunes et moins jeunes, se rendaient devant la ferme pour trouver des clientes. «Il y avait quotidiennement des voitures qui attendaient en face. Les conducteurs étaient prêts à emmener les filles là où elles le souhaitaient, si elles étaient prêtes à faire ce qu’ils voulaient».
«Tout le monde sait ce que si passe à Huelva»
Selon nos interlocutrices, ces pratiques se faisaient au vu et au su de tous. «Nous avions le sentiment d’être une sorte de marchandise qui s’achetait et se vendait là-bas», dit une saisonnière. Elles racontent encore avoir surpris, à plusieurs reprises, d’autres Marocaines avec des hommes dans leurs propres chambres ou dans les bureaux d’administration de l’entreprise où elles travaillaient.
«Nous entendions parler de ça mais nous n’y croyions pas. Désormais, tout le monde sait ce qui se passe à Huelva et parle des Marocaines comme si nous étions des prostituées.»
Les dix saisonnières toujours en Espagne avaient fui les champs de fraise lorsque les autorités avaient renvoyé la plupart d’entre elles au Maroc. Victimes présumées d’agressions sexuelles, elles ont pu déposer plainte contre leurs patrons. Plusieurs mois après le début de cette affaire, l’une des entremetteuses les a recontactées et leur a proposé de travailler à nouveau pour la même entreprise et pour le même employeur, alors que l’affaire est toujours devant la justice.
La femme en question leur aurait promis qu’elle leur enverrait de l’argent et n’aurait cessé de demander où elles se trouvent actuellement, nous confie l’une d’elles. Lorsque les saisonnières cherchent à comprendre les motifs de ses actes, l’entremetteuse avance une volonté de «[se] réconcilier avec [elles]». «Elle essaie simplement d’acheter notre silence. Nous ne voulons pas savoir où elle veut en venir au juste», poursuit l’une d’elle.
Leur avocate nous a fait part de son intention de déposer un recours en justice dans les jours à venir sur le renvoi provisionnel des plaintes des saisonnières marocaines et les abus et exploitations présumés dont elles auraient été victimes. Par ailleurs, les juges ne se sont toujours pas prononcés quant au premier recours déposé après que le tribunal a classé provisoirement une des plaintes déposées par quatre saisonnières marocaines pour harcèlement et agression sexuelle présumés.