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Grand Angle

France : L’émergence de l’ultra-droite donne du fil à retordre au renseignement

Mediapart met au jour un site où échangent des suprématistes blancs, notamment pour fomenter des attaques terroristes contre des musulmans en France. Même les victimes des attentats du 13 novembre en prennent pour leur grade.

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Des membres de Troisième voie et leur chef Serge Ayoub lors d’une manifestation à Paris le 12 mai 2013. / Ph. Miguel Medina – AFP
Temps de lecture: 4'

Des Brenton Tarrant, du nom du suprématiste blanc auteur des attentats terroristes de Christchurch, le 15 mars dernier, il en pullule des centaines sur les canaux opaques d’internet. Dissimulés derrière des profils anonymes, ils assènent des propos particulièrement crus et virulents à l’égard des musulmans, entre autres, et dissertent sur la meilleure façon de commettre un attentat contre eux, sans pour autant jamais assumer en ces termes leurs projets.

Depuis près d’un an, le site Mediapart enquête sur le site reseaulibre.org. Il en ressort un tableau glaçant de suprématistes blancs, au racisme et à l’islamophobie totalement décomplexés, obsédés par la peur de l’autre et farouchement animés par une volonté d’en découdre en perpétrant des attentats islamophobes.

D’après Mediapart, les services de renseignement en France estiment à 350 le nombre d’individus appartenant à l’ultradroite qui, comme l’Australien Brenton Tarrant, possèdent légalement une ou plusieurs armes à feu. Parmi eux, 147 sont fichés S – pour «fiche sûreté de l’Etat». Et l’émergence de groupuscules émanant de la mouvance traditionnelle d’extrême droite radicale est telle, qu’elle donne du fil à retordre à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Cet autoproclamé «réseau des Patriotes» a été créé à l’été 2015, en réaction à la crise migratoire. «L’invasion musulmane en Europe a débuté il y a quelques semaines», écrivent ses administrateurs le 10 septembre de cette année-là. Le serveur étant hébergé en Russie, aucune donnée de connexion ne peut être communiquée aux autorités françaises, précise Mediapart. Dans le cadre d’un dispositif de sécurité, les membres ne peuvent échanger entre eux qu’après avoir installé sur leurs ordinateurs un logiciel de cryptage des messages afin de préserver leur anonymat.

Racisme et islamophobie y vont ainsi bon train : on parle de «crouilles», de «singes», de «bougnoules» ; on s’assume pleinement membre de «la fachosphère» ; on idolâtre le Norvégien Anders Breivik, qui avait tué 77 personnes le 22 juillet 2011. Exemple : «Tant qu’à aller en taule, il vaut mieux y aller pour une action à la Anders Breivik», assume l’un des utilisateurs. Un autre se fait l’écho de menaces, à propos de la France : «Attention, un Breivik qui n’a plus rien à perdre pourrait surgir…»

Les victimes des attentats du 13 novembre en prennent pour leur grade

Mediapart observe également ce qu’il décrit comme une «constante» chez les membres du site : «tout le monde est mis dans un même sac : les musulmans, les terroristes et même leurs victimes», écrit le site d’information. Les survivants et les familles des victimes des attentats du 13 novembre 2015 sont qualifiés de «bisounours», de «victimes de leur lâcheté et de leur soumission». Quant aux associations qui les représentent, elles se voient reprocher de «[nager] dans la bien-pensance». «Un bon nombre des refroidis des attentats parisiens étaient certainement des vivre-ensemblistes de première», estime Gary, un internaute.

Même le gendarme Arnaud Beltrame, qui donna sa vie en échange de celle d’une otage lors de l’attentat de Trèbes, le 23 mars 2018, ne vaut pas mieux à leurs yeux. Son geste héroïque ne serait que «supercherie». Une internaute ne supporte pas qu’«un ex du GIGN se fasse si lamentablement doublé» par «une merde de musulman» parvenant à l’égorger. Le sacrifice de Beltrame ne serait, selon elle, que le suicide «d’un loser, d’un perdant !».

Les figures politiques de l’extrême droite ne sont pas mieux loties : Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national (RN), est rangée dans le «Racailloscope» qui réunit les personnages publics supposés complaisants vis-à-vis de l’islam, mais aussi de l’étranger. Elle se voit reprocher son «renoncement à toutes les valeurs nationalistes et patriotiques du FN à son origine». Comme un clin d’œil à Brenton Tarrant : l’auteur des attentats de Christchurch avait lui aussi décrit dans son manifeste Marine Le Pen comme une incapable.

Parallèle avec le coup de filet à l’égard de l’AFO

Cette paranoïa déjà très intense a sans doute été poussée à son paroxysme après le vaste coup de filet en juin 2018. Dix personnes avaient été interpellées dans la nuit du samedi 23 au dimanche 24 juin sur tout le territoire français par les services antiterroristes. Elles étaient soupçonnées de faire partie du groupuscule baptisé «AFO» (Action des forces opérationnelles).

Selon l’une des sources de l’agence France-Presse, les surveillances de la DGSI avaient démontré qu’«ils étaient organisés et en lien pour éventuellement commettre des actions violentes contre des cibles présumées en lien avec l’islam radical». Lors des perquisitions, des armes avaient été retrouvées et les échanges interceptés par la DGSI avaient révélé que les suspects projetaient de s’en procurer d’autres.

Sur le site Réseau libre, le coup de filet avait fait réagir : Anonyme et Beretta, des pseudonymes, y évoquaient «les copains d’AFO», «des copains résistants qui se mouillent pour nous et ce pays de merde», des copains qui n’avaient encore rien fait mais «en avaient peut-être l’intention». Le 14 août 2018, un certain Vidocq, toujours sous couvert d’anonymat, dit appartenir à l’AFO et avoir échappé aux interpellations. Il se veut rassurant : «Quelques groupes, comme nous l’AFO, s’organisent en prévision du grand chaos. Notre devoir est de défendre la MÈRE PATRIE de tous envahisseurs (…). Depuis cette affaire, nous engrangeons beaucoup d’adhésions.»

Mediapart rapporte que Réseau libre compte pas moins de 1 500 abonnés à sa newsletter et 2 600 commentateurs uniques. Parmi eux, 800 sont des membres actifs, dont 390 sont présents sur Twitter.

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