Quand j’étais jeune, un film britannique d’humour noir comme savent le faire les Anglais avait fait date et s’appelait «Petits meurtres entre amis». C’est l’histoire d’amis qui concoctent des meurtres pour s’amuser et pensent que ce n’est pas si grave que cela. J’emprunte le titre pour parler de la façon de travailler de certains médecins de santé publique et mêmes d’infirmiers dans un pays que vous devinerez.
Ces médecins affectés dans des villes périphériques ou des grandes villes s’arrangent pour travailler le moins de temps possible afin d’assurer le service minimum au vu et au su de tout le monde, y compris de leur administration et des autorités du pays, au grand désespoir du patient qui doit attendre des rendez-vous à rallonge ou des dates opératoires qui n’arrivent jamais.
Ici, je ne vais pas entrer dans les défaillances des dirigeants qui nomment des pneumologues sans service, des ORL sans instruments et des ophtalmos sans lampe à fente. Bref ! Des professionnels que l’Etat a formés pendant de longues années, dont le contribuable a payé la formation et que le jeune brillant bachelier devenu médecin a passé sa jeunesse à apprendre et à essayer d’apprendre son métier. Ceci est un sujet autrement épineux et représente certainement le nœud du problème.
Je vais parler de ce que j’ai observé dans les services hospitaliers et que j’ai décrit de temps à autre entre les lignes dans mes textes. Chose qui a incité un certain nombre de ces professionnels de la non présence à chercher par tous les moyens de m’interdire l’accès aux hôpitaux publics pour aider les malades démunis. La technique de ceux qui sentent que leurs avantages usurpés sont menacés est radicale.
Cette façon de fonctionner est la porte grande ouverte aux passe-droits et de la corruption
Je parle des médecins affectés dans des villes lointaines qui se sont arrogés le droit de ne travailler qu’en part time 15 jours par mois, une semaine par mois, parfois une semaine sur cinq voir ne pas venir du tout ou que de temps en temps. Ces professionnels brandissent tous des causes variables et qui pourraient même être valables, mais elles ne sont ni légales ni déontologiques et encore moins humaines. Parce que ce comportement nuit gravement au service rendu au patient. De l’autre côté, il faut reconnaître qu’affecter des médecins sans moyens de travailler, c’est tuer en eux toute volonté potentielle de développement et de rendre service. Le serpent se mord la queue et s’il y a quelqu’un à blâme en premier, c’est bien l’administration du ministère de la Santé qui crée ce déséquilibre et par conséquent cette offre de soins boiteuse qui finit par décourager les médecins et occasionner des décès évitables chez les patients.
Dans les grandes villes, l’arrangement se fait différemment puisque les médecins y habitent, on s’habitue à travailler un jour ou deux par semaine, selon le nombre de médecins affectés. Ce qui déteint sur l’ambiance dans les services, les infirmiers livrés à eux-mêmes baissant également la cadence et la discipline au grand désarroi du patient.
Il va sans dire que cette façon de fonctionner est la porte grande ouverte aux passe-droits et de la corruption au sein des établissements publics ainsi qu’au développement d’un marché de déviation de malades vers le système privé. Des familles pauvres qui doivent se saigner, commettre des crimes ou mendier pour régler des soins dont ils avaient le plein droit dans un système qui coûte des millions de dirhams à l’Etat et au contribuable.
Ce système décousu qui incite le jeune spécialiste à travailler le moins contribue, qu’il le sache ou pas, à la dégradation de ses compétences acquises avec parcimonie et difficultés durant sa formation. Une incompétence nuisible aux médecins et à ses patients. Dans mon domaine de l’obstétrique, ce sont des femmes enceintes et leurs nouveau-nés qui meurent tous les jours à cause de cela. Et c’est comme cela que les petits arrangements entre amis deviennent de petits meurtres entre amis. Des meurtres presque invisibles et surtout non punis à cause de la dilution des responsabilités.