Si le Parti populaire (PP) remporte les prochaines élections générales espagnoles, prévues le 22 avril, les femmes migrantes non-régularisées auront beaucoup à craindre pour leurs bébés. En effet, la formation conservatrice promet, en cas de victoire, de mettre en œuvre un mécanisme pour retarder l’expulsion des ressortissantes enceintes, si elles s’engagent à abandonner le nouveau-né.
Rapportée par El Pais, l’idée d’un projet de loi dans ce sens suscite la colère et l’indignation au sein des associations comme d’autres formations politiques. Mais pour son défenseur, le leader du PP Pablo Casado, elle serait un moyen efficace de lutte contre «l’hiver démographique» qui guette l’Espagne à cause de la chute de natalité.
Selon le PP, l’initiative éviterait une expulsion systématique des migrantes qui confieraient leurs enfants à l’adoption, même si elle ne les immunise pas tout à fait d’une possibilité d’éloignement après l’accouchement. En d’autres termes, le parti conservateur avertit d’ores et déjà les futures mères sans-papiers que la contrainte d’abandonner leurs nourrissons ne constitue pas pour autant «un bouclier».
Une mesure attaquée d’emblée pour son inconstitutionnalité
Relayé par L’Express, un tweet de la maire de Barcelone, Ada Colau, dénote de la consternation suscité par l’annonce du PP. «Sexistes. Racistes. Classistes. Il ne restait plus que ravisseurs d’enfants. Fascistes. Chaque démocrate doit voter à la prochaine élection pour empêcher cette foule de venir au pouvoir», écrit la représentante de la ville.
Interrogé par El Pais, Vladimir Núñez, avocat spécialiste des questions migratoires, évoque pour sa part la possibilité de décréter l’inconstitutionnalité de la proposition du PP. En effet, elle serait contraire à l’article 13 de la Constitution espagnole, relatif aux libertés publiques des étrangers dans le pays.
Répondant à la vague d’indignation qui a suivi l’annonce de ce projet, Pablo Casado s’est contenté d’avancer auprès de La Sexta qu’il s’agissait d’une intox. Pour lui, son parti propose «que les femmes enceintes qui décident de confier leur enfant à l’adoption se voient garantir la confidentialité et les mêmes droits, qu’elles soient régularisées ou non».
En expliquant que «lorsque ces femmes décident de confier l’enfant pour adoption, la procédure de dénonciation de cette personne en situation irrégulière n’est pas engagée», Pablo Casado remet paradoxalement en avant les violations des droits des personnes que revêt cette mesure, apparentée à un chantage des migrantes, qui restent expulsables même en se soumettant à ces conditions.
Le PP a du mal à se défaire du franquisme
Pour d’autres, cette initiative risque d’instituer sans complexe la pratique des bébés volés, historique et déjà taboue en Espagne, qui remonte à l’époque de Franco. Par la suite, elle a été perpétuée par des réseaux de trafic de nourrissons, opérant jusqu’au nord du Maroc et en France, des années 1960 jusqu’en 1990. «C’est en 1982 que l’Espagne découvrait l’histoire de ses ‘bébés volés’», indique en effet France Culture, décrivant l’une des facettes les plus connues de la politique du genre, appliquée sous la dictature franquiste depuis la fin des années 1930.
«Quand Franco prend le pouvoir en 1939, trois années de guerre civile viennent de s’écouler, qui ont étrillé le pays, l’ont coupé en deux camps au-delà des frontières politiques : ces barbelés qui lacèrent l’Espagne sont non seulement idéologiques, politiques ; ils mettent en jeu les partisans d’une jeune République née en 1931 sur les cendres de la monarchie, contre ceux d’un régime liberticide ; mais ces barbelés sont aussi de nature éthique. Car Franco a un projet pour les femmes : ‘Veiller sur toutes les femmes qui ont fait un faux pas et souhaitent retrouver leur dignité’», analyse le médias français.
Cette politique est passée, entre autres, par «une mainmise sur les enfants à peine nés, et confisqués à leurs parents, par mesure de rétorsion, et dans un but mêlant purification du corps social et punition des populations subversives», principalement des opposants politiques et des tribus locales. A cette époque-là, des milliers de nouveau-nés sont enlevés dès l’accouchement. Ils sont déclarés morts, sans que leurs mamans ne puissent les voir une dernière fois, puis enregistrés sous l’identité d’une autre famille, le tout avec la complicité de l’Eglise, comme le rappelle France Culture.
La pratique a perduré jusqu’aux années 1970, 1980, voire 1990, s’étendant au Maroc et la France, par l’intermédiaire de bandes organisées opérant principalement entre ces pays via l’Espagne. Ainsi, des milliers d’enfants marocains ont découvert, parfois trente ans après leur naissance, qu’ils étaient des bébés volés. C’est le cas de Brahim Kermaoui, né à Berkane en 1978, mais qui a toujours pensé que ses parents «adoptifs» en France étaient sa véritable famille.
Ayant confié son histoire il y a quelques mois à Yabiladi, celui qui est devenu aujourd’hui père de deux enfants réunit autour de lui plusieurs personnes dans sa situation, de même que des familles qui se posent des questions sur les déclarations de mort mystérieuses, il y a vingt ou trente ans, d’un frère, d’une sœur ou d’un enfant dès sa naissance. Dans ce sens, Brahim Kermaoui ambitionne de mette sur pied une grande banque d’ADN, qui permettra de reconstituer la vie et le parcours de ces disparus. «Nous pouvons nous inspirer des expériences qui ont prouvé leur efficacité, comme celles du Sri Lanka, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Inde», nous a-t-il affirmé dans l’espoir que l’histoire ne se répète pas, notamment en Espagne.