Nous sommes en 1827, les relations diplomatiques entre la République de Colombie et le Maroc sont au beau fixe. Le sultan du Maroc, Moulay Abderrahmane, venait de recevoir une lettre de la part du président Simón Bolívar annonçant son «désir de vivre en bonne harmonie et d’être l’amie de S.M. l’Empereur du Maroc».
Cette amitié allait être recouverte par des avantages et cadeaux qui faisaient d’ores et déjà saliver les responsables marocains. Ils promettaient la moitié des trophées que les Colombiens apporteraient à Tanger. Après avoir remis la lettre, le navire «Pichincha» quitte le jour même, soit le 6 juin 1827, le port de Tanger.
Quelques jours après cette fameuse lettre les corsaires colombiens passent des paroles aux actes. Le 11 juin, ils capturent deux bateaux espagnols avec leurs marchandises. Ils disaient vouloir partager leurs trophées avec les Marocains, rapporte l’historien Andrezj Dziubinski, dans sa publication «Les tentatives d’établir des relations diplomatiques entre la Colombie et le Maroc entre 1825-1827».
Image d'illustration. / Ph.DR
Ce cadeau n’est pas réellement le premier. Un an plus tôt, des corsaires colombiens avaient déjà rapporté au Maroc, un bateau espagnol qu’ils avaient capturé. Ce qui avait mis en rogne l’ambassadeur d’Espagne au Maroc qui évoqua le traité de paix signé entre les deux pays 1767 et renouvelé en 1799. Un traité qui se retournera plus tard contre les Espagnols. Le sultan qui permis l’accès des marchandises, ordonna le retour du navire aux mains des Espagnols, qui finalement le donnèrent gracieusement au Maroc.
De son côté, le capitaine John Maitland qui avait été envoyé par le président colombien, fera parvenir une lettre au pacha de Tanger. Il demandait à être reçu par le sultan en personne. Un entretien qu’il était prêt à payer 50 000 pesos en espèces ou l'équivalent en nature. Le capitaine était également prêt à mettre la main à la poche et arroser «le pacha de Tanger, ses partisans, les secrétaires du sultan et les soldats qui l’accompagnait de 50 000 autres pesos».
Protection des Colombiens, malgré les menaces espagnoles
Bien que les négociations n’aient pas été conclues, l’ingérence espagnole ne s’est pas fait attendre. Le consul espagnol Briarly s’était rendu chez le pacha tangérois pour manifester son mécontentement. Briarly exigeait la fermeture du port de Tanger pour les Colombiens, puisque considérés comme «sujets rebelles de Ferdinand VII et non des citoyens d'un État indépendant», rapporte l’historien.
Le pacha informe alors le sultan qui essuyera magistralement les menaces espagnoles, avec cette lettre envoyée le 20 juin 1827. Evoquant justement ce traité de paix entre les deux pays, le sultan rappelle que le traité supposait «l’aide et la protection mutuelle des deux Etats au cas où l’un d’entre eux serait en guerre contre des ennemis».
C’est ainsi, que le consul tombera dans son propre piège, car le traité mentionnait «clairement un ennemi extérieur», alors que Briarly parlait des Colombiens comme étant des «Espagnols rebelles dans les colonies, transformant la question en un problème interne dans lequel le Maroc ne pouvait s’immiscer», souligne l'historien.
Plus loin, le sultan affirmera qu’il est dans l’obligation de protéger «leurs vies et leurs biens comme de tous les Espagnols», comme c’était le cas pour les réfugiés de Tarifa qui se trouvaient à l’époque à Tanger. Ne s’arrêtant pas là, le sultan conclût en écrivant aux Espagnols que «si vous avez la force pour, ne leur permettez pas de traverser la mer».
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Cette prise de position subtile, conduira le sultan à lever l’interdiction d’entrée imposée aux colombiens dans les ports marocains, poursuit l’historien. Les négociations se sont alors poursuivies entre les responsables marocains, à leur tête le pacha de Tanger et le capitaine John Maitland.
L’Espagne au courant des négociations orchestre alors une «énergétique intervention», pour stopper la «menace réelle d’une alliance entre le Maroc et la République de Colombie». Le 24 juillet 1827, l’Espagne envoie une flotte de navire dans la baie de Tanger. Elle ordonne la capture de la goélette «Trinidad» et se lança à la recherche du «Pichincha». Le pays ibérique réussi son coup et aucun navire colombien ne réapparaitra dans le détroit, souligne Andrezj Dziubinski.
Furieux, Moulay Abderrahmane dénonce l’ingérence dans les eaux territoriales marocaines. Face au manque à gagner, il exigera la compensation des biens confisqués à quatre Marocains plusieurs mois auparavant. Bien qu’il est même menacé d’incarcérer le consul espagnol, en cas de retard ou non-paiement, l’instabilité interne fera «passer cet incident au second plan».
Les espoirs d’une alliance avec la République bolivarienne seront complétement enterrés lorsque le sultan, qui avait reçu le consul espagnol, le 2 juin 1828, affirmera que «l’affaire est définitivement close».
Néanmoins, les prémisses de rapprochement marqueront l’histoire entre le Maroc et les pays de cette région d’Amérique latine, jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, l’ancien ambassadeur marocain à Caracas, Brahim Houssein Moussa, n’hésitera pas à rappeler cette profondeur historique, avant la rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et le Venezuela.