A la fin du XVe siècle, les principautés musulmanes d’al-Andalus s’effritaient les unes après les autres. Livrées aux luttes internes autant qu’aux offensives des armées chrétiennes de la Reconquista depuis 1212, elles furent achevées par ces dernières, qui firent tomber Grenade en 1492. Pendant toutes ces années-là, nombre de familles juives et musulmanes furent contraintes de s’exiler, principalement dans la partie nord du Maroc où elles construisirent un tissu social séculaire qui se développa dans plusieurs villes. Dans ce contexte, Chefchaouen fut construite par Ali ibn Rachid Alami, premier gouvernant de la cité.
Dans un premier lieu, la ville fut instiguée depuis 1415, mais la date officielle de sa construction fut arrêtée à 1471. L’œuvre évolua au fur et à mesure des années, jusqu’à sa finalisation en 1480. Le prince nasride vivant à Grenade, qui descendait des Idrissides (789 – 985) et du maître soufi Moulay Abd Essalam Ibn Mashish Al Alami (1162 – 1227), imagina cette ville comme une offrande à son épouse castillane convertie à l’islam, Zahra Fernandez. Il s’inspira tellement des contrées andalouses où ils vécurent avant de fuir vers le Maroc, avec la montée des offensives de la Reconquista (1212 – 1492), que des endroits de la cité ramenèrent singulièrement au paysage des petites villes du sud espagnol.
Un bouclier face aux attaques portugaises et espagnoles
S’installant définitivement à Chefchaouen où naquit en 1493 sa fille, dite Sayyida al-Hurra qui gouverna plus tard Tétouan, Ali ibn Rachid Alami était bien conscient du danger que représentaient les armées ibériques sur la région. Pour cette raison, il choisit de construire la ville sur des lieux difficilement accessibles, dominant la route marchande de Tétouan à Fès et servant de base pour freiner les incursions portugaises depuis Ceuta, prise en 1415. Sa préoccupation était également de constituer un bouclier pour ne pas assister à de nouvelles invasions, comme celles qui se produisirent à Tanger ou à Assilah auparavant.
Le choix du lieu enclavé autant que stratégique sur lequel fut construite Chefchaouen attira son bâtisseur par sa fertilité, puisqu’il se trouvait sur la rive gauche de Ras el Ma. Ce site forestier et hydrique montagneux représentait une barrière naturelle, limitrophe aux hauteurs du Rif et des monts de Jbala. Ainsi, la ville fut peuplée principalement par des familles andalouses puis morisques, musulmanes et juives, tout en restant interdite d’accès aux chrétiens sous peine de mort.
Ali ibn Rachid construisit son domicile au cœur de la Casbah, où Sayyida al-Horra reçut son éducation de la part des plus lettrés de l’ancienne cour. «En 1492, après la chute du royaume de Grenade, un important contingent andalou s’installa dans la ville et donna naissance au quartier de Rif Al Andalus», nota Viajes a Pie. Entre 1492 et 1540, deux nouveaux quartiers virent le jour : l’Osar et le Sebain, «situés à proximité de la source Ras el Maa, la frontière naturelle de la médina» selon la même source.
Sayyida al-Horra, gardienne de Chefchaouen
En 1510, la fille d’Ali ibn Rachid épousa Mohamed al-Mandari II, sultan wattasside de Tétouan. Ainsi, elle participa activement à la gestion de la vie publique et mena des opérations militaires qui causèrent de lourdes pertes aux armées portugaise et espagnole.
En devenant la femme forte de l’est rifain, notamment par les activités de piraterie qu’elle développa en alliance avec les corsaires algériens, elle veilla grandement à unifier les rangs de ses fidèles par son efficacité politique, mais également son pouvoir religieux. Ainsi, Sayyida al-Horra eut un grand rôle dans le développement des zaouïas de la région qu’elle se rallia et qu’elle appuya financièrement, notamment dans sa ville natale.
Pendant qu’elle développa Tétouan en en faisant une véritable cité-Etat, Chefchaouen connut également son évolution. «L’arrivée des Maurisques entre 1540 et 1560 signifia la prospérité de la médina, avec la construction de la mosquée Jemaâ el-Kébir, cinq fondouks, des auberges commerçantes, une medersa et un grand bain qui donna son nom à la place principale», indiqua Viajes a Pie. Après sa destitution en 1542, Sayyida al-Horra revint y vivre et conserva son aura, devenant une figure importante de la zaouïa Raïssouniya. Lorsqu’elle s’éteignit en 1562, elle fut inhumée en son sein et la tombe resta une destination de pèlerinage très prisée par les femmes.
Jusqu’en 1561, la ville qui était plus ou moins indépendante resta gouvernée par les proches de Sayyida al-Horra, descendants d’ibn Rachid, devenus ensuite vassaux des sultans wattassides (1472 – 1554). Ils cédèrent plus tard le pouvoir aux Saâdiens (1509 – 1660) unificateurs du pays et le quartier andalou resta le plus peuplé de la médina. Cette dernière ne cessait de s’élargir avec l’expansion de la population et inclut six rassemblements principaux : Sueka, Rif Al Andalus, Al Onsar, Sebanin, Suk et Jarrazin.
A l’arrivée des Espagnols dans les années 1920, Chefchaouen s’étendit à l’extérieur des murailles, comme le rappela Viajes a Pie. S’en suivirent des bombardements des troupes franquistes et un long siège qui ne prit fin qu'avec l’indépendance du Maroc, en 1956. Au fil des siècles, elle conserva ses spécificités religieuses et compta un patrimoine important, à travers une vingtaine de mosquées et oratoires, onze zaouïas et dix-sept mausolées, lui donnant ainsi son empreinte de «ville sainte».