Après le succès des opérations visant plusieurs centres des Affaires civiles du colonisateur le matin du 2 octobre 1955 à Bourred, Tizi Ousli, Mermoucha, Barkine et Bouzineb, les forces françaises réagirent contre les habitants de ces régions en s’attaquant à eux.
Cette réaction dénota du manque de vision et de la confusion des militaires français, qui se mobilisèrent dans ces régions pour réaffirmer leur contrôle là où l’armée de libération avait attaqué ses symboles d’influence, non-loin des zones où l’Espagne avait étendu son hégémonie.
En effet, après l’accalmie de la deuxième journée à Mermoucha, le Protectorat pensait que les moujahidines avaient battu en retraites en se retranchant dans le Rif et à Barkine.
Panique du Protectorat qui n’était pas préparé à l’attaque imminente
Bien que les colons français eussent des informations sur une attaque imminente, ils ne furent pas préparés à réagir à des actions menées aux alentours de minuit, ne s’attendant pas à ce que les opérations fussent d’une telle ampleur. En effet, peu de soldats étaient mobilisés ce jour-là dans les centres qui furent attaqués. Ce fut le cas à Mermoucha, selon une annexe citée par Mohamed Khouaja dans les mémoires de Mimoune Ouakka Lyes.
Dans ce sens, son intervention intitulée «La France et l’obsession de la genèse d’un mouvement de libération au Maroc» s’y intéressa, lors d’une rencontre tenue les 17 et 18 novembre 2017 à l’initiative de l’Association Aknoul pour le développement, la culture et la préservation de la mémoire, ainsi que l’Association Bourred pour le développement et le sport pour tous et l’association Ajdir Gueznaya. Mohamed Khouaja indiqua alors que les Français ne songèrent pas à ce que les combattants eussent l’idée de commencer par se saisir de leurs armes à eux, d’autant plus les opérations d’Oued Zem ne virent par le recours des moujahidines aux armes. De même, les attentats de novembre 1954 en Algérie se limitèrent à quelques centres, avec l’usage d’armes de chasse ou d’armes artisanales qui n’eurent pas un effet significatif dans les premiers jours.
Dans son livre «Vérités sur l’Afrique du Nord», le général français Pierre Boyer de Latour, lui, tint responsables les officiers des centres qui, selon lui, ne prirent aucune mesure de précaution en recevant les informations sur une attaque imminente.
Un flou total au niveau de la Résidence générale française
Le secret entourant le travail des cellules de l’armée de libération, en place depuis 1951, laissa peu de visibilité aux autorités du Protectorat qui n’anticipèrent guère les actions des moujahidines, comme rapporté dans «Vérités sur l’Afrique du Nord» ou encore des déclarations rapportées par la presse le 3 octobre 1955 à Rabat, et selon lesquelles les commandos responsables des actions du 2 octobre provenaient de la région sous contrôle espagnol.
Ceci était sans oublier que la nouvelle sur la préparation d’une attaque imminente fut transmise au Protectorat, comme indiqué dans les mémoires du Premier ministre français de l’époque, mais que les détails organisationnels et logistiques restèrent inconnus. En revanche, les Français confiants, étaient sûrs que les dirigeant des partis politiques participant aux négociations d’Aix-Les-Bains, fin août 1955, ne soutiendraient par la lutte armée et contourneraient la crise en obtenant le départ d’Ibn Arafa et le retour du sultan Mohamed Ben Youssef.
D’autres éléments de contexte perturbèrent la visibilité de la Résidence générale française à Rabat. En effet, Pierre Boyer de Latour passa l’été et l’automne 1955 dans un long conflit avec le gouvernement de Paris et les colons, ainsi que des commandants et des militaires. De Latour envisageait vraisemblablement un départ du Maroc et une passation de pouvoir, ce qui eut lieu le 11 novembre 1955. De leur côté, les institutions et les sociétés financières françaises, contrairement aux militaires, ne voyaient pas un grand intérêt dans le maintien de la présence armée au Maroc, surtout après la mise en place d’un contrôle sur l’économie du pays.
Les armes saisies par l’armée de libération
L’un des principaux objectifs de l’armée de libération marocaine qui avait lancé ses opérations dans les premières heures du 2 octobre 1955 était la saisie des armes dans les dépôts des Affaires civiles qui avaient intensifié leurs attaques. Ces munitions devaient servir à une lutte de longue haleine qui devait durer jusqu’à arracher l’indépendance.
Pour sa part, de La Tour s’abstint de mentionner le butin de l’armée de libération suite aux actions visant les dépôts frontaliers d’armes et de munitions, ainsi que les opérations de Tizi Ousli et de Bouzineb. Il se référa simplement aux saisies d’armes de Mermoucha, où les combattants avaient mis la main sur 400 pièces et munitions, récupérés les jours d’après selon le général.
En effet, la restitution de ces armes au Protectorat s’opéra sur fond d’intimidation et nombre de civils furent terrorisés par les colons, qui incitèrent certaines tribus à attaquer les zones ayant participé aux actions de libération. Toute restitution fut récompensée de la somme importante de 25 000 francs. Ainsi, parmi les minutions reprises aux villageois, quelques 120 fusils échappèrent au contrôle français car ils furent acheminés vers le Rif dans les deux jours ayant suivi le début des attaques, selon les mémoires de Mimoune Ouakka.
La symbolique de la visite du ministre français de la Défense à Bourred
Dans son intervention précitée, Mohamed Khouaja déclara que le 5 octobre, le résident général français se rendit à Mermoucha et visita le «triangle de la mort» (région de Gueznaya) pour constater la situation de plus près. Sa venue préparait la visite de Pierre Billotte, nouvellement ministre de la Défense générale. Cette initiative était entreprise moins d’une semaine après le début des actions de l’armée de libération, confirmant que la France n’avait pas anticipé cette frappe dans le «triangle de la mort». Une telle démarche des autorités françaises visaient à remonter le moral des troupes et montrer que la situation était sous contrôle.
Dans ce contexte, la surveillance des frontières avec les zones contrôlées par l’Espagne était censée empêcher la fuite de commandos de moujahidines, en plus du déploiement de nouveaux renforts militaires comprenant 10 000 soldats et de gros équipements, ainsi que d’un escadron d’avions de chasse pour frapper les cibles «suspectes».
Pour sa part, de La Tour tenta d’inciter les Espagnols à lutter contre les combattants marocains réfugiés dans le Rif, en leur rappelant que ces derniers réclameraient les terres étendues jusqu’aux frontières avec le Sénégal et plus tard, ils exigeraient de reprendre l’Andalousie. «Est-ce pour tout cela qu’autant de soldats ibériques sont tombés en terre marocaine ?», s’interrogea-t-il en s’adressant à ses homologues, avant de qualifier l’inaction du résident général espagnol de «crime contre la civilisation occidentale».
La poursuite des opérations de l’armée de libération dans le «triangle de la mort»
Dans les régions de Gueznaya, les combats et les escarmouches entre l’armée de libération et les militaires français se multiplièrent depuis le début de l’attaque à une heure du matin, 2 octobre 1955. Le groupe qui mena cette opération réussie contre les dépôts d’arme procéda à la libération des prisonniers ainsi qu’à la saisie d’armes et de biens.
Ce jour-là, un groupe se dirigea vers le centre douanier «La Paz» à Bourred qu’il fit brûler, tandis que d’autres moujahidines ciblèrent avec succès le centre stratégique de Bouzineb. Sur sa route, le même groupe visa d’autres petits centres et lieux stratégiques français, avant de prendre part à la bataille de Bellouta à Bourred également. Plusieurs jours ayant suivi le lancement officiel des actions de l’armée de libération furent ainsi marquée par de multiples batailles similaires, comme le rappelèrent dans ce sens les mémoires d’Abdelaziz Akdad.