A partir de 1951 à Gueznaya et de 1952 à Marmoucha, les résistants marocains se mirent à constituer les premières cellules de l’armée de libération pour mieux contrer le Protectorat (1912 – 1956). Leur première démarche fut principalement de trouver où s’approvisionner en armement et de s’y entraîner. Cependant, la mission fut loin d’être aisée. En effet, les cellules en cours de création opéraient dans la clandestinité et le secret total, afin de ne pas attirer l’attention du Protectorat qui gardait un œil sur tout ce qui se déroulait dans le pays.
Les forces colonialistes au Maroc étaient très vigilantes quant à la possibilité de voir la résistance passer à l’action armée, surtout que Mohamed Ben Abdelkrim el-Khattabi avait de grandes ambitions pour libérer toute la région nord-africaine, dans une démarche résolument révolutionnaire. D’ailleurs, l’émir du Rif multipliait à la mobilisation maghrébine depuis l’Egypte, où il avait fui l’exil en 1947 et créa le Comité de libération du Maghreb arabe. La France craignait de plus en plus une large action de résistance armée, surtout après le début d’actions similaires en Algérie en 1954.
Les préoccupations du Protectorat vis-à-vis de l’armée de libération
Les craintes s’amplifièrent lorsque la France découvrit plusieurs cellules secrètes dans des villes comme Casablanca, Rabat et Marrakech. S’en suivirent arrestations et vagues de répression, ce qui poussa les résistants à se réfugier dans d’autres régions, comme à Larache, Tétouan et Nador, selon les mémoires du résistant Abdellah Senhaji.
La fin de l’année 1954 marqua donc la mise à sac de plusieurs branches armées de la résistance marocaine à Meknès, à Errachidia et à Ouarzazate, ainsi qu’à Khénifra en direction de Béni Mellal et des montagnes d’Azilal. Selon une intervention non publiée de Mohamed Khouaja, intitulée «La France et l’obsession de la genèse d’un mouvement de libération au Maroc», l’action de ces groupes fut avortée.
Invité à une conférence organisée par l’Association Aknoul pour le développement, la culture et la préservation de la mémoire, ainsi que l’Association Bordeau pour le développement et le sport pour tous et l’association Ajdir Gueznaya, le chercheur indiqua que ces actions devaient commencer le 9 mars 1955, attisant ainsi les peurs du Protectorat qui voyait les milieux ruraux adhérer à la démarche. C’est pourquoi, les agents français doublaient de vigilance et suivaient de près les faits et gestes des résistants à travers des informateurs, des assistants ou des indicateurs payés à la tâche dans toutes les provinces du Maroc.
«Prenez les armes des dépôts de votre ennemi»
Surveillés, les membres de la résistance éprouvèrent de plus en plus de difficultés à s’approvisionner en armes. Les choses devinrent encore plus ardues puisqu’Ali Boutahar Akdad, fondateur de l’armée de libération, exigea que les sources d’armement «ne fussent pas utilisés comme un argument permettant au Maroc de les accuser de rouler pour les partis communistes de l’Est», comme le rappela Abdelaziz Daouayri dans ses mémoires.
De plus, Abdelkrim el-Khattabi insistait sur ce point auprès des résistants qu’il recevait au Caire. Il répondant ainsi à leur résignation face à la colonisation : «Les armes, prenez-les des dépôts de l’ennemi.» Le moujahid partait en effet de sa propre expérience dans le Rif, où il combattait présence espagnole et française. Il savait à quel point l’approvisionnement en armes pouvait rendre les résistants dépendants de la partie qui le leur fournirait.
D’ailleurs, le chercheur Fathi Dib le rappela dans son ouvrage «Abdennasser et la révolution d’Algérie», en évoquant la réunion entre Abdelkrim el-Khattabi et son frère M’hamed, le 16 mars 1954 sous les instruction du président égyptien Gamal Abdel Nasser. Avec l’émir du Rif, le leader de la Révolution des officiers libres (1952) voulait justement définir ce que pourrait apporter l’Egypte comme moyens financiers, logistiques et politiques à la Tunisie, l’Algérie et le Maroc dans leur lutte anticoloniale. Cependant, leur désaccord porta sur la manière de préparer les actions qui devaient initier la guerre de libération dans la région.
Comment l’armée de libération arriva à se fournir en armes ?
Ancien leader de l’armée de libération à Nador, Abdellah Senhaji mentionna dans ses mémoires que l’armement dans sa région provenait principalement de ce que les résistants algériens fournissaient via les bateaux «Dina», «Annasr» et «Fierté des mers». Un tier de chaque cargaison était destiné à la résistance marocaine, en vertu d’un accord conjoint.
Le 30 mars 1955, le bateau «Dina» arriva ainsi à Ras El Ma et resta caché au large de Kebdana, sans aucune intervention du groupe de résistants de Tétouan, malgré la coordination avec leurs homologues algériens. Constituée alors de Dr el-Khatib, d’El Ghali Laraki, de Houssine Berrada, de Hassan Safieddine et de Saïd Bounailate, la branche tétouanaise était en effet opposée à l’option de la résistance armée. La cargaison resta ainsi jusqu’à l’arrivée d’Abdellah Senhaji et d’Abbas Messaâdi à Nador en juin et en juillet de la même année. Ces derniers s’occupèrent donc de prendre l’armement et de l’acheminer aux autres résistants.
Aussi, selon les mémoires de Senhaji, la section des résistants à Nador acheta près de 75 pièces d’armement à Melilla par différents moyens. Au total, elle détint près de 419 armes et 274 000 minutions qui furent distribués à différentes fractions de la résistance.
Parmi l’armement utilisé, les mémoires d’Abdellah Senhaji énumérèrent des carabines de fabrication anglaise et américaine, des fusées Meteor fabriqués en Angleterre également, de même que des pistolets importés des Etats-Unis et des fusils belges, ou encore des grenades modernes. Le résistant confia notamment que certains clients multiplièrent par 16 le prix des minutions, surtout ceux de calibre 7, très utilisés pour les fusils belges employés massivement par l’armée de libération.
De son côté, l’ouvrage «Abbas Messaâdi, l’arbre qui cache la forêt de l’Armée de libération» de Mohamed Khouaja rappela quelques faits : «La part des Marocains de l’armement destiné à la libération se chiffrait à 600 pièces. Mais au début de la révolution du 2 octobre 1955, le nombre de pièces distribuées aux 13 centres de l’armée de libération ne dépassa pas les 250 fusils.» A partir de là, l’auteur se posa des questions sur ce qui advint de la logistique qui ne fut pas partagée.
Quant aux mémoires d’Abdelaziz Akdad, elles renseignent sur le début de cette révolution à laquelle son groupe pris part. Le 2 octobre 1955, sept de ses compagnons de route et lui attaquèrent le centre dans le village de Boured (région de Taza). A cet effet, ils se servirent de six fusils et de deux pistolets fournis par Abbas Messaâdi, en plus de quatre armes achetées et de deux autres appartenant à son père depuis la Guerre du Rif (1920 – 1926). Nombre de combattants dans l’armée de libération se servirent également d’armes blanches, de pierres et de bâtons.
De manière globale, le niveau d’armement des résistants au Maroc pour leur lutte anticoloniale resta modeste et ne suffit pas à l’ensemble des membres de la résustance. Par ailleurs, Mohamed Khouaja mentionna dans son ouvrage (p. 125) la réunion tenue au centre d’Ayar Imjla (أيار إمجلا) chez El Fakir Ahmed Ben Omar Achahboune le 17 octobre 1955, en présence d’Abdelaziz Daouayri, d’Abdessalam Akdad d’El Hassan Zekriti, d’Abbas Messaâdi et de Dr El Khatib.
Lors de cette rencontre, ce dernier promit à l’armée de libération de lui fournir des armes en ces termes : «Les armes son disponibles et le seront encore ! Soyez des hommes !» En revanche, la promesse ne fut pas tenue, d’après une correspondance d’Abbas Messaâdi datée du 4 novembre 1955, reprise par Mohamed Khouaja.
Ainsi les ressources logistiques de l’armée de libération marocaine étaient essentiellement constituées d’armes saisies depuis les dépôts du Protectorat qu’elle put attaquer, en plus des pièces fournies grâce aux résistants déserteurs de l’armée française qui rejoignirent la lutte anticoloniale armée.