Née à Casablanca et ayant grandi au Maroc jusqu’à l’âge de 12 ans, Hind Bensari a passé la majorité de sa vie à Londres, pour les besoins professionnels de ses parents. «Mes parents sont restés là-bas jusqu’en 2008 et j’y ai vécu jusqu’en 2013», nous confie-t-elle.
Ce séjour qui aura duré plus d’une décennie a été jalonné de voyages et de rencontres humaines. En effet, Hind Bensari part en Ecosse après son lycée, afin de continuer ses études en économie et politique du Moyen-Orient à l’Université d’Edimburg. Pour l’année universitaire 2007-2008, elle part en échange à l’American University of Beiruth (Liban), avant de revenir à Londres pour se retrouver à la London School of Economics.
Ainsi diplômée en politique économique dans le développement international, Hind Bensari travaille principalement dans le financement de projets, à Londres et au Moyen-Orient, jusqu’à ce qu’elle décide de se lancer dans le cinéma, avec une fibre particulière pour le documentaire. «Personne n’est cinéaste dans ma famille et tout au long mon cursus, le cinéma n’était pas si présent que cela», souligne la réalisatrice. Cependant, une prise de conscience l’anime, en 2012, la poussant à revenir au pays et poser sa caméra, pour la première fois.
«J’ai commencé le documentaire avec l’affaire Amina Filali, mineure suicidée en mars 2012, après avoir été mariée à son violeur. J’avais envie de rentrer au Maroc et de m’engager pour faire changer l’article du Code pénal permettant aux juges de marier les victimes de moins de 18 ans à leurs violeurs.»
Dans sa démarche, Hind Bensari est convaincue que «dans une société qui compte un taux élevé d’analphabétisme, la manière la plus efficace de toucher un maximum de citoyens est le langage de l’image». «J’ai commencé à faire du cinéma en voulant apporter ma contribution pour faire avancer les choses», nous explique-t-elle encore.
«Ce qui m’inspire aujourd’hui dans le cinéma documentaire est la part du réel qu’il y a dans ce processus créatif, les rencontres humaines, ainsi que cette relation qui se crée entre le réalisateur et ses héros, qui donne envie de suivre une histoire sur plusieurs années.»
Une fibre pour le cinéma du réel
Comme chaque projet de film a besoin de financement et à ses premiers pas dans le septième art, la réalisatrice s’est tournée vers Internet, où la collecte de fond pour son premier documentaire, «475 : Break the Silence», a constitué «la première démarche de crowdfunding au Maroc», comme elle nous le rappelle : «J’ai écrit ce film comme on pouvait écrire un essai sur la question du viol et la manière avec laquelle les victimes de viol sont perçues au Maroc. Lorsque j’ai mis en ligne le documentaire, en 2014, j’ai été repérée d’abord par Nabil Ayouch, ensuite par de 2M, à travers Réda Benjelloun.»
«Ce qui m’a donné envie de faire du cinéma est d’avoir voulu parler à la société marocaine, toucher un maximum de personnes», indique celle qui se voit volontiers continuer à tracer son chemin dans le film documentaire, que ses œuvres portent sur des questions historiques ou encore politiques. «Je traite des sujets tout d’abord basés sur des histoires humaines qui m’ont profondément touchées», souligne l’artiste.
Quatre ans après la sortie de son premier documentaire, Hind Bensari est revenue cette année avec un second : «We could be heroes». C’est l’histoire d’un duo d’athlètes marocains imbattables, qui vainquent quotidiennement leur handicap, représentent le Maroc dans les rendez-vous olympiques internationaux, mais peinent à avoir la reconnaissance qui leur revient au niveau du ministère de la Jeunesse et des sports, où ils ne sont pas intégrés comme cadres.
«Ce film ne traite pas du handicap dans le sport, mais de la hogra, de la panne de l’ascenseur social au Maroc, de l’injustice qui émane de ce handicap au regard de la société et des politiques publiques, des difficultés que des champions internationaux rencontrent parce qu’ils sont en bas de l’échelle.»
Au commencement de ce projet, Hind Bensari découvre Azzedine Nouiri lors des jeux paralympiques de Londres, en 2012, où le sportif est médaillé d’or et nouveau tenant du record mondial en lancer de poids. «J’habitais à Londres à ce moment-là, je l’ai découvert sur la BBC et il m’a tout de suite paru exceptionnel, nous raconte la réalisatrice. Au bout d’un an, j’ai enfin pu le rencontrer à Safi». En 2016, le héro revient aux JO de Rio (Brésil), pour conserver son titre et raffler une nouvelle médaille d’or.
«Nous faisons en ce moment circuler une pétition pour que nos athlètes puissent avoir un salaire. Si l’Etat ne suit pas, ce qui serait dommage, j’espère qu’il y aura des mobilisations citoyennes assez conséquentes.»
Hind Bensari en tournage de son second documentaire, We could be heroes / Ph. DR.
Le film documentaire à l’épreuve des procédures administratives
A l’image de la préparation pour son premier opus, Hind Bensari s’est confrontée à des contraintes financières pour accompagner l’éclosion de «We could be heroes». «Si je m’étais limitée au Maroc, cela aurait été impossible, déplore-t-elle. J’ai sollicité de grandes entreprises et groupes marocains pour un mécénat, mais ils n’ont pas répondu à l’appel.»
Par ailleurs, d’autres obstacles au Maroc mettent à l’épreuve la réalisation d’un documentaire, tels que la chaîne de production spécialisée qui reste défaillante, ou encore les autorisation de tournage, comme elle le souligne : «Les autorisations de tournage pour un film documentaire prennent plus de temps que pour la fiction, si les autorités veulent bien les donner à temps. Pendant les tournages, nous sommes souvent suivis par les moqqadem, les autorités locales. Il est difficile de filmer au Maroc, même lorsqu’on est dans la légalité.»
Depuis ce dernier travail, distingué à plusieurs reprises dans les festivals internationaux, Hind Bensari est de plus en plus sollicitée pour de nouveaux projets de réalisation. «Je travaille actuellement sur une série documentaire en France, où je suis des championnes de sport françaises, qui mettent leur savoir-faire sportif au service du social», indique-t-elle.