Yabiladi : L’histoire de l’immigration, enseignée à l’école a-t-elle une valeur particulière pour les enfants d’immigrés ?
Laurence de Cock : L’histoire de l’immigration et son enseignement à l’école sont extrêmement importants pour tous les élèves et ils ne doivent pas leur être réservés. Ils ne sont pas plus importants pour eux parce que leurs parents viendraient d’un autre pays.
Ces élèves sont nés, pour la plupart, sur le sol Français. Leur destiner l’enseignement de l’histoire de l’immigration c’est risquer de fantasmer un état d’origine qui n’est pas le leur. Il est extrêmement important de ne pas segmenter les classes, de ne pas considérer que chaque groupe culturel aurait ses propres besoins d’histoire.
Mais l’enseignement de l’histoire de l’immigration dans les écoles n’a-t-elle pas une fonction de légitimation de la venue de leurs parents et par conséquent de leur présence ici ?
LdC : La légitimation se fait dans le regard de l’autre. Enseigner cette histoire à tous, c’est permettre à ces enfants de se sentir légitimes par rapport à leurs amis en classe. Entendre parler à l’école de l’immigration postcoloniale inscrit les élèves dont les parents seraient immigrants dans une continuité. Cette histoire peut leur permettre d’obtenir certains éléments de compréhension sur leur situation qu’ils n’entendront pas nécessairement
dans leur famille.
Dans les cas où la mémoire familiale ne correspond pas à l’histoire institutionnelle, quelle position peut adopter l’enfant ?
LdC : Lorsque j’étais professeur d’histoire dans un collège, avec ma classe, nous avions voulu recueillir le témoignage d’un ancien habitant des bidonvilles de Nanterre, or il s’est finalement désisté. L’une de mes élèves, dont les parents avait immigré, a proposé que l’on interroge son père : il n’avait pas vécu dans les bidonvilles,
mais pouvait en parler. C’était la situation que je voulais éviter, mais nous y sommes allés. Le père a commencé à raconter ce qu’il connaissait des bidonvilles. Sa fille l’interrompt pour préciser qu’il n’y a pas vécu. Il lui répond que si. Elle insiste «non, tu n’y as pas vécu !» Il persiste. Mon élève a fondu en larmes : elle ne pouvait
pas accepter que son père ait vécu dans un endroit aussi terrible.
Quelles conclusions tirez-vous de cette douloureuse expérience ?
LdC : Le discours des enseignants peut toujours entrer en conflit avec le vécu de l’élève. Je pense qu’il faut être très prudent. L’école ne doit pas empiéter sur l’intime familial. Les enseignants ne sont pas formés pour ça, ils sont cantonnés à l’école et ne suivent pas l’élève dans sa famille. Sur ces questions historiques sensibles, ils doivent partir du savoir des élèves – le savoir social, acquis en dehors d’une démarche pédagogique - pour y intégrer des éléments de savoir et de vérité sans délégitimer ce qui se dit dans les familles.
Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n°10