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Grand Angle  

Abdelkrim le Rifain ou comment la France et l’Espagne ont soumis le Maroc

Hier soir, la chaine franco-allemande Arte a diffusé le documentaire de Daniel Cling «Abdelkrim et la guerre du Rif». Il permet de mesurer à quel point l’histoire de cette guerre d’indépendance s’insère dans l’histoire de l’Europe mais aussi à quel point un documentaire qui entend rendre justice au héros rifain peut rester européo-centré.

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«Je suis venu trop tôt», conclut Abdelkrim El Khattabi après s’être rendu à la France, le 27 mai 1926, après 17 ans de guerre. Le documentaire diffusé, hier soir, mercredi 21 septembre, dans Les mercredis de l’histoire sur Arte, «Abdelkrim est la guerre du Rif», réalisé par Daniel Cling est édifiant. Il montre distinctement ce que les pays colonisateurs, à savoir la France dans tout le Maroc et l’Espagne à Melilia, ont fait perdre au Rif et au Maroc : un homme très cultivé, progressiste et capable de fédérer contre un ennemi des tribus amazighes longtemps opposées. Le parti pris est clair : rendre justice à Abdelkrim.

Tout commence avec la construction d’une voie ferrée pour l’exploitation des gisements de fer à Melilia. Les Rifains s’y opposent, et en 1909, six agents des chemins de fer sont trouvés morts. L’Espagne entend mater rapidement la rébellion et essuie la première déroute d’une longue série de défaites. Elle se lance alors dans une véritable guerre.

Premier bombardement chimique

La concurrence des impérialismes européens est alors telle que l’armée française, en 1911, débarque à Fès sous prétexte de «sauver» le sultan d’une insurrection. L’Allemagne dénonce une violation des traités et débarque à Agadir. La première guerre mondiale a alors failli se déclarer sur le sol marocain. Finalement, la France conquiert la quasi-totalité du Maroc et l’Espagne poursuit sa guerre contre les Rifains d’Abdelkrim.

En 1923, Abdelkrim proclame la République du Rif, «Goumouria». «Personne ne voulait entendre que nous voulions la paix», expliquera-t-il plus tard. Euphémisme. La seconde guerre mondiale a vu naître les premières armes chimiques : après 1923, des bombardements chimiques sont conduits par l’armée espagnole sur le Rif, auxquels participe le général Franco, dictateur espagnol de 1939 à 1975.

C’est le début de la fin pour les révoltés. Lyautey craint une révolte dans tout le Maroc et décide de bloquer le grenier à blé du sud rifain. En repoussant l’armée française, Abdelkrim signe sa perte. Le Maréchal Pétain, ancien héros de la première guerre mondiale et futur collaborateur de l’Allemagne nazie, remplace bientôt Lyautey au commandement de l’armée. Le pilonnage conjoint de la France et du Maroc pousse Abdelkrim, vaincu le 27 mai 1926, à se rendre.

L’histoire «européenne» d’Abdelkrim

L’intérêt du reportage est de montrer à quel point l’histoire de cette guerre d’indépendance croise toute l’histoire de l’Europe. C’est là aussi que le bât blesse : Abdelkrim a beau être cité dans le titre du documentaire, il est loin d’en être le centre et reste une abstraction. L’ensemble du film propose une vision européo-centrée de la guerre entre les Rifains, l’Espagne et la France.

Certes, le téléspectateur est surpris d’apprendre qu’Abdelkrim, le grand héros de la résistance marocaine a d’abord chercher à coopérer activement avec l’Espagne à Melilia avant de se résoudre à l’affronter faute d’avoir pu leur faire entendre raison. De plus, Abdelkrim intervient tout au long du documentaire, sous la forme d’une voix off lisant un texte qu’il a écrit après sa défaite. Certes, le documentaire souligne à quel point la jeune et éphémère République du Rif bénéficiait d’une conception moderne.

Cependant, le documentaire fait l’impasse sur un grand nombre de questions : pourquoi Abdelkrim a-t-il changé de position vis-à-vis des Espagnols alors qu’il reconnait lui-même avoir travaillé activement à «faire admettre aux Rifains l’intérêt d’accueillir les Espagnols afin qu’ils [leur] apportent le développement» ? Par quels moyens a-t-il pu repousser si longtemps l’armée espagnole ? Comment est-il parvenu à allier les Rifains historiquement très divisés ? Pourquoi les sultans marocains n’ont-ils jamais soutenu Abdelkrim ?

Un silence qui s’explique en partie par le fait que, tout au long du documentaire, seuls 4 historiens français, espagnol et allemand interviennent directement à l’écran. Pas un seul historien marocain. «Les historiens portugais se basent, pour la plupart, uniquement sur leur documentation pour avancer leurs analyses. Ils n’ont pas fait l’effort d’apprendre l’histoire du Maroc de l’intérieur», remarquait Othmane Mansouri, spécialiste de l’histoire maroco-portugaise, dans Yabiladi Mag n°7. Une analyse qui ne s’applique pas seulement au Portugal.

Pour ceux qui ont raté la première diffusion de ce documentaire, Arte le rediffusera le mardi 27 septembre 2011 à 10h05 et le samedi 1 octobre 2011 à 16h55. Il est également accessible sur le service de vidéos en ligne du site web de la chaine franco-allemannde.

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