Aussi vieux que je vivrai, je n’arriverai jamais à comprendre d’où provient, chez un grand nombre de personnel soignant, surtout en milieu public, cette légèreté à humilier les patients et leurs familles.
Récemment, une jeune femme qui devait accoucher en octobre par césarienne dans une clinique privée, a senti des contractions utérines trois jours avant l’Aïd El Kébir, la rupture de la poche des eaux annonçant un accouchement prématuré éminent.
Le gynécologue a dit à la maman la formule consacrée : «Vous savez madame, je ne peux pas vous toucher parce que le bébé sera prématuré. Vous avez le choix entre la seule clinique qui prend les prématurés (à prix d’or : 500 euros par 24h) ou le CHU s’il y a de la place.» La cliente est devenue patiente et donc encombrante ; on s’en lave les mains et les esprits. C’est ainsi qu’est devenue cette pauvre médecine marchande.
La dame a finalement accouché au CHU dans la nuit. Le nouveau-né a été pris en charge dans le service de réanimation néo-natale, le plus grand du Maroc, qui a par ailleurs été décrié récemment à cause de l’augmentation de la mortalité néo-natale en son sein, à hauteur de 33% en deux ans. Un chiffre à nuancer bien évidement, à cause des transferts dans les autres services aux alentours qui font le service minimum, mais ceci est une autre histoire.
L’Islam est bien évidement innocent de ces comportements dénués d’humanité
Force est de constater que personne ne souhaite prendre à bras le corps ce fléau de santé péri-natale et les dégâts occasionnés aux mamans et à leurs nouveau-nés. La dame qui vient d’accoucher est sortie le surlendemain et doit tous les jours quémander les informations et se débrouiller pour chercher le citrate de caféine, introuvable dans toutes les pharmacies de la ville. Elle fait des demandes à l’étranger – c’est d’ailleurs ce qui l’a incitée à m’écrire. L’allaitement ne lui est permis que difficilement. Selon la maman, le seul interlocuteur qu’elle a en face d’elle, c’est le fameux agent de sécurité, qui a pris un rôle démesuré dans les structures publiques. Elle doit, me dit-elle, attendre des heures qu’on lui donne une information ou l’ordonnance pour chercher le fameux médicament. Dieu merci, le petit respire spontanément et n’a pas besoin de doses de surfactant qui coûte les yeux de la tête. Plus je discutais avec la maman sur Messenger, plus je ressentais une colère traverser mon corps et mes sens. Et si je sais d’où vient aux peuples sous-développés cette manie de malmener leurs semblables, je ne parle ici ni de compatriotes ni de coreligionnaires. Parce que l’Islam est bien évidement innocent de ces comportements dénués d’humanité.
Je ne comprendrai jamais pourquoi la plupart des soignants ont adhéré, avec une facilité déconcertante, à ce comportement humiliant vis-à-vis des patients, se détachant ainsi de leur humanité et assassinant l’empathie que Dieu a créée en chacun de nous. Et pourtant, la plupart des soignants actuels sont des soignants féminins : médecins, sages-femmes et infirmières. Toutes des femmes avec des sentiments innés de pitié et de miséricorde, et des instincts de maternité. J’avoue ne pas arriver à comprendre cela, du haut de mes trente années d’expériences et de mon exercice dans plus d’une vingtaine de pays.
Par ailleurs, je sais pertinemment que ce même personnel mis dans une structure privée ou en Occident, changerait aussitôt de comportement et entrerait dans un moule adéquat, professionnel et respectueux des patients et des usages. S’il y a une révolution à faire, c’est dans ce sens, celle de la gestion des ressources humaines.
La maman, toujours inquiète pour la santé et la survie de son prématuré, est en train de vivre les pires semaines de sa vie. Contactée ensuite pour avoir des nouvelles, elle m’a dit avoir trouvé la solution pour accéder à son bébé pour l’allaiter, c’est-à-dire en «achetant le chemin», moyennant distribution de billets !
Récemment, une interview de conseils aux étudiants en médecine a été publiée, et j’ai dit qu’une des choses qui m’insupportait le plus était l’injustice et l’humiliation que subissaient les patients, menant à la corruption des agents de santé en citant quelques infirmiers et pas les médecins. Qu’est-ce que j’ai pu recevoir comme critiques et même insultes dans les commentaires du site qui a repris cette interview. Comme si la corruption des uns était une opportunité pour les autres. Il est vrai qu’en étant étudiant en médecine, je ne pouvais imaginer qu’un médecin puisse accepter la corruption, ni qu’il puisse participer à l’injustice qui touche les patients et leurs familles. Mais ça, c’était avant !