Dans la province de Tata, l’architecte Salima Naji et ses artisans ont fait sortir de terre le centre culturel des Ait Ouabelli, un projet totalement construit en pierres sèches, d’après le site Chantiers du Maroc. Réalisés dans le cadre d’une initiative nationale pour le développement local, ces travaux ont nécessité une enveloppe budgétaire de 1,141 million de dirhams.
Le bâtiment, qui s’étend sur une superficie totale de 320 m², a vocation à accueillir un centre culturel qui abritera une salle multimédia, une salle polyvalente et d’exposition, des ateliers pour enfants, des bureaux et sanitaires ainsi qu’un espace extérieur accueillant un théâtre de plein air.
Votre démarche s’inscrit dans une volonté de collaborer avec les artisans locaux et d’utiliser les procédés constructifs ancestraux. Elle couvre donc à la fois une dimension sociale, traditionnelle et environnementale.
Ma démarche s’inscrit dans une architecture soutenable, c’est-à-dire une architecture qui réponde à moindre coût aux besoins de populations souvent isolées disposant de faibles revenus. Or, la soutenabilité doit tenir compte des questions sociales, économiques, environnementales et culturelles. Les artisans mobilisant des matériaux locaux sont au cœur de tous ces enjeux. En effet, les savoir-faire dits ancestraux sont le fruit d’une longue transmission d’expériences menées dans un contexte de rareté et de pénurie. Ces expériences, sur la durée, ont nourri de nombreuses innovations locales, fruit d’un cumul d’observations empiriques. Aujourd’hui, elles sont essentielles pour penser l’adaptation au changement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le bon sens devrait naturellement nous y conduire.
L'intérieur du centre culturel des Ait Ouabelli / DR
Pourquoi privilégiez-vous la pierre ? Que reprochez-vous au ciment ?
Je privilégie les matériaux locaux selon une logique d’architecture de collecte : la pierre quand je travaille sur les pentes arides du Bani comme à Ait Ouabelli, la terre crue (adobes, pisé, etc.) quand c’est au cœur des espaces cultivés oasiens. Le principe est de mobiliser le matériau qui a le plus faible bilan carbone, à la fois dans sa production, son acheminement au chantier, sa mise en œuvre mais aussi sa potentielle destruction. Il faut réfléchir à la fois au cycle de vie du bâtiment mais aussi des matériaux.
Maintenant, dans le contexte des architectures oasiennes, le béton de ciment n’est pas adapté. Premièrement, c’est un matériau extrêmement énergivore pour sa production, son transport, sa mise en œuvre mais aussi pour son recyclage, d’autant plus si vous vous trouvez à plusieurs centaines de kilomètres de la première cimenterie. Deuxièmement, à l’usage, les bâtiments sont totalement inadaptés aux conditions climatiques locales et nécessitent énormément d’énergie pour être... climatisés. Troisièmement, la durabilité du matériau est très faible surtout si les dosages n’ont pas été respectés.
Le ciment, comme tout matériau, doit être utilisé à bon escient pour des bâtiments et ouvrages d’art spécifiques. Sa généralisation sur tout le territoire a été catastrophique. Outre le fait que cela participe du déséquilibre commercial du pays, l’inconfort des conditions de vie subies devrait faire réfléchir. Aujourd’hui, ce sont des dizaines de milliers de bâtiments en béton de ciment inachevés ou vides, impropres à l’habitat, qui parsèment les campagnes et défigurent les paysages. Ils représentent un gâchis phénoménal.
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A Tiznit, vous avez conçu un centre d’archives. Quel est le but de cette démarche ?
Le projet du centre d’interprétation du patrimoine de Tiznit est le fruit d’une longue concertation avec les habitants, les associations et les élus dans le cadre d’un protocole participatif de 2008 à 2011. Parmi les attentes des associations, il était question de valoriser les archives privées des zaouias (édifice religieux musulman autour duquel la confrérie soufie se structure, ndlr), particulièrement nombreuses dans la région, mais aussi des familles qui disposent encore d’antiques registres de commerce, de correspondances politiques, d’accords tribaux, etc. Toutes ces archives sont menacées de disparition et il semble indispensable de les numériser mais aussi de les valoriser par des expositions de fac-similés auprès du grand public. Lieu à vocation publique, des salles permettent d’accueillir des expositions temporaires spécifiques mais aussi des chercheurs. Il s’agit donc d’un centre de traitement et de valorisation des archives. Pour la conservation, le lieu sera en relation avec les archives du Maroc à Rabat.
Votre travail ne se limite pas seulement à superviser des projets architecturaux ; vous vous êtes également engagée à accompagner et à encourager les acteurs locaux dans l’utilisation de matériaux locaux et le recours aux techniques ancestrales. Comment vous y prenez-vous ?
Le travail de sensibilisation des acteurs locaux a été très important. De 2006 à 2013, nous avons développé des actions pilotes avec le soutien de maîtrises d’œuvre ambitieuses comme celles de M. Ahmed Hajji, qui était alors directeur de l’Agence du Sud, ou Me Abdelatif Ouammou, qui était président de la commune de Tiznit. Puis, à partir de 2015, la législation a évolué. Nous avons répondu à des appels d’offre standards et proposé une réponse intégrant les principes de l’éco-construction afin de démontrer que cela était possible dans le cadre des contraintes légales marocaines.
Plusieurs projets ont pu ainsi être réalisés dans le cadre de l’INDH (Initiative nationale du développement humain, ndlr), notamment dans la province de Tata qui a joué un rôle pilote. Cependant, les effets étaient limités à des cercles de bonne volonté du fait de l’existence de réseaux de corruption qui privilégient le béton de ciment afin de pouvoir détourner facilement l’argent public. Par conséquent, j’ai privilégié le plaidoyer national pour le changement de la législation marocaine et j’ai eu la chance d’être soutenue par l’Académie du royaume dans le cadre de la COP22, mais aussi par le Conseil économique, social et environnemental. Dernièrement, nos directives nationales imposent le fait de privilégier les matériaux locaux pour les équipements de proximité. L’Agence nationale des équipements généraux a pour mission d’en assurer la promotion.