Dans les locaux de l’Ordre des avocats à Casablanca, les membres de la défense des détenus du Hirak à la prison d’Oukacha ont exposé les différentes étapes de la procédure liée à ce procès. Devant un parterre de journalistes et en présence de militants historiques, ils ont souligné les manquements à l’équité d’un processus ayant abouti à de lourdes peines, prononcées le 26 juin dernier à l’encontre de Nasser Zefzafi et 52 autres militants.
Dans leur communiqué commun, les avocats indiquent que tout au long des 86 audiences de ce procès, «le parquet général, le juge d’instruction et le tribunal se sont comportés avec un grand cynisme envers les principes de liberté». Ils soulignent également «l’absence de raisons objectives et juridiques motivant les mesures restrictives de libertés prises à l’encontre les détenus».
Par ailleurs, les membres de la défense insistent sur «la non-réactivité du parquet et du tribunal» aux éléments de preuves réfutant la version officielle. Selon eux, ce silence volontaire est derrière la non-vérification des pièces à conviction «confirmant les faits de torture dont les militants ont dit avoir fait l’objet» au cours de leur arrestation et de l’enquête préliminaire.
Le tribunal refuse les requêtes de la défense
Autre remarque des avocats, «le non-respect de l’égalité dûe devant le tribunal entre la défense et le parquet général», ainsi que «la violation de certaines procédures essentielles comme la comparution des prévenus en liberté».
Dans une déclaration donnée à Yabiladi, l’ancien bâtonnier Abderrahim El Jamaï a en effet indiqué que l’enquête préliminaire et l’information judiciaire avaient pris une tournure portant atteinte aux droits de la défense, à plusieurs aspects concernant les témoins, les éléments de preuve, les témoignages et même les expertises judiciaires. Ainsi, notre interlocuteur assure avoir «présenté nombre de requêtes qui se sont toutes confrontées à un refus catégorique».
Pire encore, Me El Jamaï soutient que le tribunal a «ignoré» toutes les initiatives légales permettant à la défense de montrer des vidéos qui contredisent les enregistrements sur lesquels se basent les procès-verbaux. «Nous avons présenté nombre d’éléments montrant la réalité des choses au tribunal, afin que celui-ci tranche en toute conviction sur la véracité ou non des faits reprochés à nos clients, mais en vain», a encore déploré l’ancien bâtonnier.
«Même en étant confrontés à de telles difficultés, les avocats de la défense ne se sont désistés à aucun moment lors des audiences, où ils ont tous défendu les militants du Hirak. Mais lorsque le tribunal a manqué à son rôle en ignorant des requêtes légales et légitimes, les détenus ont décidé de garder le silence puis de se retirer des séances. Nous avons laissé le tribunal face à sa conscience, à l’histoire et à l’opinion publique. Cela a donné les verdicts que vous connaissez.»
Face à cette situation, Abderrahim El Jamaï souhaite que le recours en appel permettra de tourner la page sur les erreurs procédurales commises au cours de ce procès, pour enfin «réparer ce qui peut encore l’être et rendre les verdicts équitables».
Un soutien politique
En plus des avocats chargés du dossier du Hirak à Casablanca, cette conférence de presse a été marquée par la présence des responsables politiques et de figures historiques de la gauche marocaine, dont Mohamed Bensaïd Aït Idder.
Nabila Mounib, secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU) et porte-parole de la Fédération de la gauche démocratique (FGD) a également été au rendez-vous. Au micro de Yabiladi, elle affirme appuyer les déclarations de la défense, souhaitant que ses membres ainsi que les détenus «puissent obtenir gain de cause, d’autant plus qu’il s’agit ici d’un procès politique».
Nabila Mounib ajoute qu’il ne faut pas attendre encore trente ans pour mettre en œuvre une nouvelle Instance equité et réconciliation (IER) pour réhabiliter les victimes «de ces procès politiques et de ces violations flagrantes aux droits humains».
De son côté, Mohamed Bensaïd Aït Idder souligne son «soutien total au Hirak, à ses détenus et au Rif, où [il a] mené des batailles aux côtés de Mohamed ben Abdelkrim el-Khattabi, bien avant l’existence du Makhzen». Ancien moujahid, détenu politique, dirigeant de l’Armée de libération nationale dans les années 1950 puis fondateur de l’Organisation de l’action démocratique populaire (OADP) en 1983, notre interlocuteur tient «responsable» l’Etat de ne pas avoir parachevé son processus de réconciliation avec le Rif. Il conclut ainsi :
«Le rôle du Rif a été central pour l’indépendance du Maroc. En effet, ses habitants ont partout porté les armes. Mais au lendemain de cette indépendance, le Nord du Maroc a été marginalisé. Sous les instruction du prince héritier de l’époque (alors futur roi Hassan II), le général Oufkir a commis les pires exactions (...) Après l’intronisation du roi Mohammed VI, nous avons espéré une réconciliation effective avec cette région, mais cela ne s’est pas fait.»