Après avoir été fourni en armes par Mouammar Kadhafi au début des années 1970, Ouali Sayed, alors numéro 1 du Polisario, a été reçu par Houari Boumediene à Alger. La rencontre a été déterminante, dans la mesure où le Front a pu avoir des camps d’entrainement à sa disposition en Algérie. Dans ce quatrième épisode d’entretiens hebdomadaires, l’ancien membre-fondateur du Polisario et initiateur du mouvement «Khat Achahid», Mahjoub Salek, revient sur la proclamation de la «République arabe sahraouie démocratique (RASD)». Il évoque également la mort de Ouali Sayed en Mauritanie.
Avant la tenue de la Marche verte, le 6 novembre 1975, les dirigeants du Polisario ont obtenu des garanties de l’Espagne sur la tenue d’un référendum d’auto-détermination dans la région. D’où la «tenue de rencontres entre le ministère espagnol des Affaires étrangères et Ouali Sayed en Algérie», ainsi qu’entre ce dernier et les dirigeants espagnols à Al Mahbes, nous rappelle Mahjoub Salek.
C’est à la suite de ces pourparlers que des membres du Polisario ont pu se rendre au Sahara, tout en étant autorisés à gérer les villes libérées de l’occupation ibérique (Al Mahbes, Tifariti, Amgala, Guelta, Bir Gandouz et Aousserd).
Les symboles de l’«Etat»
Deux ans avant le discours fondateur de la «RASD», le drapeau du Polisario a déjà été conçu, nous confie notre interlocuteur. «C’était en 1974, lors du deuxième congrès du Front» au cours duquel Mahjoub Salek a lui-même fait partie du comité en charge de l’élaboration des emblèmes du Front et de ses principes.
«Je ne me suis pas inspiré du drapeau palestinien, dont je n’avais pas connaissance à l’époque. Celui du Polisario reflète nos idéaux révolutionnaires. Le rouge représente le sang, le noir évoque la période de la colonisation, le blanc ramène à notre révolution et le vert incarne les valeurs d’édification. Quant à l’étoile et au croissant, ils signifient notre arabité et notre identité musulmane.»
L’ancien membre-fondateur du Front nous explique que «d’autres membres au sein du comité ont proposé un drapeau jaune avec, au milieu, un croissant, une étoile et un chameau». Mais finalement et après avoir exposé les deux propositions en congrès, le choix a été porté sur la sienne.
La Marche verte bouleverse le cours des choses
Tandis que «le Polisario pensait véritablement que l’Espagne allait tenir un référendum, celle-ci négociait en fait la libération de 17 de ses nationaux, dont la plupart était issus de familles influentes à Madrid», nous explique encore Mahjoub Salek. Et d’ajouter : «L’Espagne a effectivement remis en liberté des membres du Polisario et en échange, nous avons libéré des détenus ibériques. C’est à ce moment-là que le pouvoir espagnol a opéré son revirement et a démarré des négociations directes avec le Maroc.»
«La Marche verte a suscité un vif intérêt à travers le monde, car c’était une idée ingénieuse. Elle se déroulait à Laâyoune alors que des manœuvres militaires avaient commencé, le 31 octobre, opposant l’armée marocaine au Polisario dans les environs de Haouza et Jdiriya. Pendant ce temps, le monde ne parlait que de la Marche verte et tous les intérêts ne portaient que là-dessus.»
Par conséquent, «un accord a été signé le 14 novembre entre le Maroc et l’Espagne, sur la partition du Sahara avec la Mauritanie». Comme le rappelle Mahjoub Salek, la direction du Polisario a «compris, à ce moment-là, que ni le Maroc ni la Mauritanie ne voulait d’[elle]».
«Cela nous a profondément marqués, car nous avons compris qu’à travers cette démarche, les deux pays n’avaient d’yeux que pour les richesses de la région. La partition a été décidée sans aucune consultation populaire et les Sahraouis se sont sentis humiliés, ce qui les a poussés à rejoindre le Polisario en masse. De son côté, l’Algérie a saisi l’occasion pour servir sa propagande.»
Quant à l’idée de proclamer la RASD, le 27 février 1976, Mahjoub Salek souligne qu’elle est l’œuvre de l’écrivain et ancien diplomate mauritanien Ahmed Baba Miske :
«Ouali Sayed a été convaincu de cette proposition et a réussi à y faire adhérer la Libye et l’Algérie. Ainsi, son discours historique depuis le camp de Bir Toulate a été diffusé simultanément sur les télévisions algérienne et libyenne.»
La disparition de Ouali Sayed
Par ailleurs, Mahjoub Salek indique qu’au lendemain de la Marche verte, les instances politiques du Polisario ont réalisé avoir commis une erreur envers les populations sahraouies, pour qui le Front incarnait un véritable espoir.
«L’erreur a été d’avoir refusé la proposition de Khalihenna Ould Errachid de nous allier avec le Parti de l’union nationale sahraouie (PUNS). En effet, Ould Errachid avait rencontré Ouali Sayed dans ce sens, en 1974 à Nouakchott. En tant que président du parti, il nous avait proposé d’obtenir un statut d’autonomie sous l’administration espagnole. Mais le Polisario refusa et Ouali Sayed considéra, plus tard, que cette erreur stratégique avait beaucoup coûté au peuple sahraoui.»
Cette prise de conscience a conduit Ouali Sayed à exécuter une grande opération, consistant à mener l’offensive sur Nouakchott en plein jour. Une opération qui lui a coûté la vie, comme le rappelle son ancien camarade de lutte :
«Il voulait prouver au monde qu’il était prêt à mourir pour ses principes, et il est mort en portant toutes ses convictions pour lesquelles il s’est battu. Il n’y a eu ni conspiration, ni opération de liquidation. Avant son départ pour le combat, j’étais avec lui et j’étais sûr qu’il n’allait pas revenir.»
Dans ce sens, Mahjoub Salek explique à Yabiladi que «cette mort a été du pain béni pour l’Algérie et pour les dirigeants du Polisario ayant succédé à Ouali Sayed», d'autant que «personne ne pouvait imposer des choses à ce dernier». Sauf que ce décès a bouleversé plusieurs situations :
«Après la mort de Ouali Sayed, Alger a désigné comme successeur Mohamed Ould Abdelaziz. Depuis, le Polisario est devenu un pion entre les mains des dirigeants algériens, qui s’en sont servis pour leurs agendas politiques au lieu de porter les revendications des Sahraouis. Cela n’aurait jamais été possible si Ouali Sayed était resté en vie…»