A la lisière de la gare routière Oulad Ziane à Casablanca, un parc sert de terrain de football aux jeunes du quartier. Mais aujourd’hui, le lieu sert plus d’abri de fortune aux migrants subsahariens, parfois transportés de force depuis le Nord.
C’est ainsi que le 24 novembre dernier a été marqué par une rixe entre ces migrants et des jeunes habitants des alentours. Si cet épisode est choquant, il n’est pas le premier et rappelle justement une longue série d’affrontements similaires.
En effet, ce tragique événement fait remonter aux esprits les violences survenues en 2014, au quartier Boukhalef à Tanger. Ayant opposé des Marocains à des migrants subsahariens, ces affrontements ont fini par la mort d’un Sénégalais.
Ces affrontements dominés par la violence et observés ces dernières années interpellent sur plusieurs aspects du vivre-ensemble : pourquoi des tensions se créent en cas de voisinage entre migrants subsahariens et Marocains ? Les Marocains sont-ils de plus en plus violents envers ces migrants ?
Une nuit pas comme les autres
Pour comprendre ce qui s’est passé à Oulad Ziane et comment ces jeunes migrants sont arrivés là, nous avons rencontré Alpha Camara, secrétaire général de la plateforme ASCOMS (Plateforme des Associations et communautés subsahariennes au Maroc), qui fédère 17 associations dont 12 actives sur le terrain.
Le militant nous précise qu’au lendemain des tristes évènements, deux missions se sont rendues sur les lieux pour recueillir les éléments nécessaires à la compréhension de la situation. Il en ressort que le camp abrite 850 migrants, dont 250 mineurs non accompagnés, transportés par les autorités depuis le nord du pays et livrés à eux-mêmes à Casablanca. Laissés sans couchage ni hébergement, ils ont trouvé refuge dans ce parc, n’ayant aucune installation sanitaire à leur disposition.
Alpha Camara comprend que les riverains du quartier se sentent gênés, «mais ces migrants sont eux aussi des victimes et vivent dans des conditions inhumaines», précise notre interlocuteur. Dans de telles conditions de voisinage, la tension est-elle prévisible ? Sous une autre formule, pourquoi des tensions se créent en cas de voisinage entre migrants subsahariens et Marocains ?
Des conditions de vie inhumaines
Aimée Lokaké, chargée des missions d’ASCOMS, nous déclare que lors de sa première visite dans le camp dans le cadre de la mission de la plateforme associative, le nombre de migrants a été de 850 dont 250 mineurs non accompagnés. Ils sont majoritairement issus du Nigéria, de Guinée, du Mali, de Côte d’Ivoire, du Sénégal, du Burkina Faso, du Cameroun, du Tchad, de Gambie et du Niger. «Lors de ma deuxième visite, les 250 mineurs non accompagnés étaient portés disparus !», s’indigne la militante.
Côté du camp de Casablanca / Ph. Aimée Lokaké
Depuis la nuit des faits à Oulad Ziane, les migrants sont enfermés dans le camp et interdits de le quitter, même pour aller se laver dans la gare routière, ou se rendre au cybercafé pour se connecter et parler à leurs familles. Leur seule source de survie sont les dons.
Cette situation rappelle celle de «la jungle de Calais», ce camp informel démantelé en septembre 2016 par les autorités françaises, mais qui est aujourd’hui réoccupé par des migrants désireux de partir vers l’Angleterre.
Les conditions de vie dans ces camps informels sont inhumaines : aucune infrastructure et aucun équipement. Les migrants doivent donc faire face aux aléas du climat et survivre en travaillant ou en bénéficiant de quelques dons.
Un voisinage presque impossible ?
Tayeb Boutbouqalt, enseignant d’histoire contemporaine à l’Ecole supérieure roi Fahd de traduction (Tanger), tente de nous expliquer la source de ces tensions :
«Leur explication n’a aucun lien avec l’origine de ces migrants ni avec celui de la couleur de leur peau. Il s’agit d’un dysfonctionnent manifeste de la gestion des flux migratoires subsahariens dans notre pays. Par conséquent, toute proximité mal gérée et tout voisinage mal contrôlé provoquent inévitablement ce genre de tensions.»
Sacs d’aides alimentaires aux migrants du camps / Ph. Aimée Lokaké
A la question de savoir si ces Marocains sont de plus en plus violents envers les migrants subsahariens, Pr. Boutbouqalt estime que «ce n’est pas parce que des réseaux sociaux se sont emparés de cet événement dans son effervescence en déformant et en exagérant les faits tels qu’ils se sont réellement déroulés, qu’on peut dire que les Marocains sont devenus violents envers les migrants subsahariens».
Par ailleurs, le chercheur nous fait remarquer qu’«il existe beaucoup de migrants subsahariens dans d’autres villes du Maroc et dont la présence n’est au centre d’aucune tension».
Un exemple inspirant
A près de 100 Km de Casablanca, Rabat est l’une des villes qui accueillent une grande partie des migrants subsahariens arrivés au royaume. Dans la capitale, au quartier Yaaqoub Al Mansour, nous avons rencontré Stéphane Mboma Ngulutu, un jeune congolais, secrétaire général de l’Association diaspora congolaise au Maroc (DICOMA).
Ce quartier, où habite justement Stéphane, est très habité par des migrants. Cependant et lors de notre rencontre, des regards interrogateurs de riverains marocains se sont interrogé sur les raisons pour lesquelles une compatriote accompagnait un Subsaharien !
G. à d. Mohamed Belkassi, Stéphane Mboma Ngulutu et leur ami qui habite à Salé / Ph. Bahija Jarmouni
Mais ici, Stéphane est connu. Tout le monde l’appelle «mon ami» et tout au long de la grande avenue du quartier, il ne cesse de faire des rencontres amicales. Il nous emmène chez un ami qu’il considère comme «un parent», Mohamed Belkassi, artisan.
Ami de Stéphane depuis 4 ans, Mohamed est aussi son ex-patron. Pour lui, «la religion ou la couleur de peau n’ont aucune importance dans les relations humaines. Ce sont les attitudes et les comportements qui comptent». En effet, dans ce quartier, les Marocains et migrants subsahariens vivent ensemble en paix et sans tension palpable, conduisant à des violences. Un exemple à devoir suivre pour que le vivre-ensemble devienne un quotidien plus qu’un slogan.