«Je l’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout». L’Etat marocain, tel un amoureux indécis, a tantôt déclaré sa flamme pour la presse digitale, tantôt rejeté violemment sa jeune et fragile dulcinée. Depuis quelques mois, nous assistons a une charge violente contre les acteurs les plus professionnels alors que pullulent les sites de fake news, racoleurs, ou au services d’intérêts particuliers.
Malgré les signaux inquiétants, nous avons voulu croire à un bug autoritaire passager, qu’in fine notre pays ne pouvait que s’inscrire dans un temps long démocratique. De tout temps, les crises ont rythmé cette relation passionnelle entre autorités et médias. Mais depuis deux ans le tour de vis se veut beaucoup moins nuancé et pour le moins définitif. Arrestations de journalistes, lourdes sanctions financières, nouvelle réglementation restrictive, nouvelle taxe injustifiée... Il faut être plutôt fêlé pour se risquer à diriger un média au Maroc, au lieu de faire comme tout le monde : spéculation immobilière, et autres commerces très rentables et sans risque.
Depuis le 15 août 2017, il faut ainsi montrer patte blanche pour être autorisé à diffuser des informations sur internet. En 2017 ! Objectif non avoué du gouvernement : filtrer le bon grain de l’ivraie, se ménager un chef d’inculpation tout prêt pour débrancher un site d’information si besoin. Yabiladi.com, site né en mars 2002 (une éternité sur l’échelle du temps numérique), a donc plongé d’un coup d’un seul dans l’illégalité. Une situation des plus comiques quant on sait que j’ai participé personnellement à la rédaction du projet de Code de la presse électronique. Ce même code de la presse (modifié en coulisses) me désignera donc comme un hors la loi. Le tribunal appliquant la loi nous renvoie au ministère de la Communication, et ce dernier nous renvoie au tribunal. Kafkaïen !
Le clou de trop
Au Maroc, l’état de la presse en général et de la presse en ligne en particulier est pourtant le plus bel argument pour se convaincre de l’urgence de changer ce système. Un système qui n’en fini plus d’enfoncer les clous dans le cercueil des médias qui tentent -malgré la situation financière difficile - de maintenir une certaine rigueur dans leur travail.
Le gouvernement vient ainsi décider sans concertation avec le secteur, d’élargir une vieille taxe écran de 5% sur le dos des supports électroniques. Les GAFA (Google, Facebook et autres plateformes) étant exemptés de cette taxe qui reste à la seule charge du plus petit poisson de la chaîne alimentaire. Comment garder espoir dans un système subventionnant les sites qui plagient ; un système octroyant des cartes de presse aux sites de buzz et autre presse à scandale ; un système pris d’une ivresse fiscale taxant lourdement les petits, ménageant les plus gros ?
Gouffa fiscale pour Fatima, bouquet de fleurs pour GAFA
Même d’un point de vue purement financier, cette mesure fiscale risque de coûter plus cher à la collecte que ce qu’elle rapportera. Sur plus de 400 millions de dirhams d’investissement publicitaire numérique, seuls 60 millions vont vers les supports marocains. Et comme souvent quand on improvise une mesure fiscale à la dernière minute, on va au plus simple en taxant les acteurs «captifs», à savoir les seules entreprises installées au Maroc.
L’Etat devrait donc engranger quelques 3 millions de dirhams par an sur la partie publicité sur les sites internet, alors que le gros morceaux (Google, Facebook, Youtube, et autres sites étrangers) sera exempté, soit environ 20 millions de dirhams de manque à gagner sur cette même taxe écran. Pendant que les secteurs fragilisés par la concurrence internationale bénéficient de mesure de sauvegarde, notre gouvernement s’applique à instaurer une mesure de préférence anti-nationale aux médias. Et quand l’Europe cherche à imposer les GAFA, le Maroc, lui, leur offre des fleurs, et nous envoie la facture. Comble de la goujaterie de l’amant radin !
«Je l’aime, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout». Chantant la même ritournelle, effeuillant la marguerite, l’Etat marocain s’évertue à tuer les fleurs médiatiques du terroir, laisse proliférer les mauvaises herbes, et subventionne indirectement les fleurs importées bourrées d’OGM. Switch off !