Selon Asma Lamrabet, le monde musulman contemporain adopte un nouveau discours qui conçoit le rejet total d’une modernité occidentale, conçue comme l’origine d’une altération des mœurs et de dépravations, d’ordre éthique et moral. Le discours en question se focalisant particulièrement sur «le registre identitaire» transmet le message d’un Islam axé principalement sur «les normes corporelles et vestimentaires», où la femme ainsi que son corps deviennent, par la force des choses, l’élément central autour duquel gravitent toutes les «vulnérabilités» de la société.
La femme et le voile parfait
On vit dans une société où le corps féminin est devenu un «objet sexuel», d’après l’auteure. La femme qui s’habille librement attise systématiquement le désir pulsionnel de l’homme. Raison pour laquelle les femmes sont régulièrement invitées, à travers le discours des prêcheurs, à se couvrir intégralement et à porter la tenue légale, ce que Asma Lamrabet nomme aussi «le voile parfait».
Il s’agit en réalité d’un habit islamique appelé également jilbâb, qui doit strictement remplir des conditions bien déterminées, à savoir : «1. Couvrir tout le corps. 2. Ne pas être une belle parure en lui-même. 3. Etre épais et non transparent. 4. Etre large et non moulant. 5. Ne pas être parfumé. 6. Ne pas ressembler aux habits des hommes. 7. Ne pas ressembler aux habits des mécréants. 8. Ne pas attirer le regard.»
D’où a-t-on fait sortir tous ces critères ? Voilà une question qui s’impose. La réponse, d’après Asma Lamrabet, c’est qu’«il n’y a nul part dans le Coran une recommandation vestimentaire strictement codifiée que les croyantes seraient tenues d’adopter».
Le Coran utilise certes le vocable jilbâb, qui désigne en arabe «pardessus», mais sans lui attribuer aucune des propriétés déjà citées, atteste l’auteure. Dans le verset «O Prophète, dis à tes filles et aux femmes des croyants de ramener un pan de leurs jalabibihina sur elles. C’est le meilleur moyen de se faire connaître et d’éviter ainsi d’être offensées», auquel les oulémas font souvent appel dans un tel contexte, l’écrivaine précise que rien ne justifie d’imposer un habillement précis aux femmes, ni de leur reprocher d’être responsables des perversions sociales qui sont en rapport avec certains aspects vestimentaires.
Rester chez soi
Une autre idée qu’adopte le discours islamique actuel, et que la sociologue critique fermement, consiste à dire que la femme devrait tenter de rester chez elle le plus longtemps possible. Le fait pour une femme de fréquenter constamment l’espace public a des conséquences néfastes sur notre société, dans la mesure où ses sorties attirent les regards des hommes sur elle, ce qui contribue à semer la fitna, soit le désordre là où elle va.
Néanmoins, si on revient sur la deuxième partie du verset précité – «C’est le meilleur moyen de se faire connaître et d’éviter ainsi d’être offensées» –, on s’aperçoit que celle-ci accorde la totale liberté aux femmes de sortir et de s’engager intégralement aux côtés des hommes dans la vie sociale.
Un exemple très significatif qu’avance Lamrabet pour défendre cette idée est celui des femmes de Médine, qui à l’époque du Prophète faisaient leur prière à la mosquée, demeurant un «espace public» et «mixte». Cette présence des femmes aux côtés des hommes est très révélatrice puisqu’elle indique que les deux sexes ont un rôle égalitaire à accomplir au sein de leur communauté.
Toutefois, les exégèses, au fil du temps, et notamment pour des raisons d’ordre politique, ont tenté de freiner ce message spirituel, de libération de la femme que véhicule l’Islam, tout en instaurant des barrières sociales entre les deux sexes ; en enfermant les femmes soit dans des harems, soit au sein d’autres sérails ; en leur interdisant de fréquenter les mosquées, de sortir ou d’avoir une vie sociale. Toutes ces raisons ont été jugées légales dans le but d’interdire aux femmes de côtoyer l’espace public. Évidemment, «cette interdiction a toujours été légitimée au nom de l’islam», conclut Lamrabet.