Il y a 75 ans, du 14 au 24 janvier 1943, Casablanca était la ville-hôte de la conférence d’Anfa, où fut élaborée la stratégie des Alliés après la Seconde Guerre mondiale. Décidée par le président des États-Unis, Franklin Roosevelt, et le Premier ministre britannique, Winston Churchill, elle réunit les généraux français Henri Giraud et Charles de Gaulle.
L’anniversaire de cet évènement a été célébré en grande pompe samedi 20 janvier par les ambassades britannique et américaine au Maroc. L’ambassadeur du Royaume-Uni, Thomas Reilly, en a débobiné le film lors d’une table ronde organisée à la Bibliothèque nationale du Royaume du Maroc.
Une destination idéale
«Je pense que le choix de Casablanca s’explique par le contexte historique de l’époque, alors que les forces américaines et britanniques venaient juste de débarquer dans la ville, ainsi qu’à Alger et Oran», explique à Yabiladi Allen Packwood, directeur du Churchill Archives Centre. Ce dernier fait référence à l’opération Torch, nom de code du débarquement des Alliés, le 8 novembre 1942, en Afrique française du Nord, le Maroc étant alors sous protectorat et l’Algérie, un département français.
Casablanca faisait également office de destination idéale pour les Américains et les Britanniques, qui se rapprochaient ainsi de leurs troupes. La ville leur était d’autant plus favorable qu’avec son port tourné vers l’Atlantique, elle permettait aux forces alliées de faire appel à «la flotte française et à ses bases navales en Afrique du Nord», souligne l’historienne américaine Meredith Hindley dans son livre «Destination Casablanca : Exil, espionnage et bataille pour l’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale». Oran, quant à elle, était jugée trop proche de l’ennemi.
«Le Maroc fut pour moi une révélation»
Si la ville blanche était idéale d’un point de vue stratégique pour les Alliés, ce choix enchanta encore plus Roosevelt et Churchill. Le Premier ministre britannique est venu six fois au Maroc en vingt-trois ans, notamment à Marrakech, qui avait ses faveurs. «Churchill adorait le Maroc. Il était venu pour la première fois en 1935, à Marrakech, y avait séjourné pendant une longue période, y avait écrit et peint», raconte Allen Packwood. Il y a en effet donné naissance à son unique œuvre de la guerre, «Le Minaret de la Koutoubia» (1943), qu’il offrit à Roosevelt. «Je soupçonnerais même qu’il a sauté sur l’occasion pour revenir et y rencontrer le président Roosevelt», avance le directeur du Churchill Archives Centre.
Le président américain Franklin Roosevelt et le Premier ministre britannique Winston Churchill. DR
Une admiration confirmée par les écrits de Winston Churchill lui-même, dans un article publié dans le Daily Mail en 1936 : «Le Maroc fut pour moi une révélation. La lecture de la question marocaine dans les journaux ou les documents officiels n’offre pas la moindre impression du charme et de la valeur de ce magnifique territoire.» L’homme se dit «captivé par Marrakech».
«Ici, dans ces vastes palmeraies émergeant du désert, le voyageur (…) peut contempler, avec une satisfaction incessante, le panorama majestueux et enneigé des montagnes de l’Atlas. Le soleil est brillant et chaud mais pas brûlant; l’air vif, tonique mais sans être froid ; les jours lumineux et les nuits paisibles et fraîches.»
C’est probablement son amour pour le Maroc qui a poussé le Premier ministre britannique à élaborer la prochaine stratégie des Alliés à Casablanca. Avant d’être rejoint par Roosevelt qui devait traverser l’océan Atlantique pour assister à la conférence, Churchill était déjà là, profitant du soleil de janvier, loin du brouillard londonien. Dans le jardin de la Villa Mirador – l’actuelle résidence du consul général des Etats-Unis à Casablanca –, il s’est enfermé pendant des heures dans son bureau au rez-de-chaussée, à quelques pas de Dar Saada, où le leader américain devait séjourner.
Selon l’historienne Meredith Hindley, «Casablanca a été choisie en partie parce que Franklin Roosevelt voulait visiter les troupes américaines. Il voulait aussi un endroit chaud… et pas de moustiques !». Quant à Churchill, il souhaitait définitivement une atmosphère ensoleillée comme celle d’Anfa où il pourrait savourer son cigare.
Le coucher de soleil sur les montagnes de l’Atlas
Et comme Winston Churchill pensait que «Marrakech [était] tout simplement le meilleur endroit sur Terre pour passer l’après-midi», il avait souhaité partager ce moment avec son allié américain, une fois terminé leurs négociations belligérantes. Dans un article du Telegraph, le journaliste britannique Con Coughlin écrivait en 2013 que lors de la Conférence d’Anfa, les deux leaders britannique et américain avaient «pris quelques jours de repos à Marrakech».
«On ne peut pas aller en Afrique du Nord sans voir Marrakech», a confié Churchill à Roosevelt. «Laissez-nous y passer deux jours... Il faut que je sois avec vous quand vous verrez le soleil se coucher sur les montagnes de l’Atlas.»
Churchill et Roosevelt prennent quelques jours de repos à Marrakech, où ils admirent le coucher du soleil. DR
Ainsi, le 23 janvier 1943, ils quittèrent tous deux Casablanca pour Marrakech. Ils arrivèrent à la Villa Taylor en plein quartier Guéliz. Churchill emmena Roosevelt avec lui au sommet d’une tour et, bien que ce dernier soit en fauteuil roulant, le Premier ministre britannique insista pour que deux membres de son personnel portent le président américain pour voir «l’endroit le plus charmant du monde».
A propos de cette villa, l’écrivain Tahar Ben Jelloun écrit dans Le Point : «Maison historique, parce qu’elle a été le lieu de villégiature de Winston Churchill, où il recevait ses amis, tel Franklin Roosevelt, et où il peignait les paysages qu’il admirait de la terrasse. C’est une maison qui n’est pas un palais, mais un pan du patrimoine architectural du Maroc.»
Un tournant dans la lutte pour l’indépendance
«La conférence de Casablanca a été un succès car elle a réuni les Français, les Américains et les Britanniques pour dessiner l’avenir du monde. Ils ont délivré une leçon importante pour nous tous, à une époque de pleine mondialisation. Il faut prendre le temps de s’asseoir, s’écouter, comprendre les différences des uns et des autres et tracer un avenir où l’on tient compte de nos différences tout en essayant de trouver un terrain d’entente qui nous unisse», a conclu l’ambassadeur britannique Thomas Reilly.
La conférence d’Anfa, avec tous les objectifs qu’elle a fixés pour mettre fin à la guerre, a également été un tournant dans l’histoire du royaume. Accueillie sur les terres du Sultan Mohammed ben Youssef, la rencontre avec les deux dirigeants a amorcé une nouvelle ère dans la lutte pour l’indépendance du Maroc ; le Manifeste de l’indépendance du Maroc sera signé un an plus tard, le 11 janvier 1944.