Présidée par le curé Christian Delorme, l’association lyonnaise l’Hospitalité d’Abraham pour le dialogue interreligieux a proposé Latifa Ibn Ziaten pour le Prix Nobel de la paix 2018. La candidature de la présidente et fondatrice de l’Association Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix fait partie de 375 autres, portées au comité de ce prestigieux sésame international.
Ainsi, cette candidature constitue une reconnaissance internationale aux efforts d’Ibn Ziaten, qui œuvre depuis 2012, au sein de son association, à redonner de l’espoir aux jeunes en France comme au Maroc.
«Malgré la grande douleur dûe à la perte de mon fils, j’essaye d’apporter paix, bonheur et amour pour venir en aide à cette jeunesse. Je ne veux pas voir grandir un autre Mohamed Merah. C’est mon combat quotidien pour lequel je me rends dans les écoles et dans les prisons, dans les foyers à travers les familles, pour leur parler de l’importance de l’éducation», nous explique-t-elle dans un entretien accordé à Yabiladi.
Réparer les vies
Latifa Ibn Ziaten porte la blessure de l’assassinat de son fils, Imad, premier militaire de l’armée française assassiné par le terroriste Mohamed Merah le 11 mars 2012, lors d’une fusillade à Toulouse. Au lendemain de cette tragédie, la militante a refusé de céder à la terreur, choisissant de prôner la vie afin que ce drame ne se répète plus. Elle est convaincue que ce travail commence avec les jeunes, qui, pour elle, doivent urgemment être encadrés. Elle nous confie d’où vient ce déclic :
«Pendant 25 ans, j’ai travaillé comme enseignante au sein de plusieurs établissements scolaires. J’ai vu beaucoup d’enfants en situation de difficulté, faute d’accompagnement des parents qui se sentent dépassés. Par conséquent, nous assistons à une forme de démission générale des adultes. Mon travail est donc d’aller vers ces jeunes-là qui sont délaissés, pour les aider et les pousser à prendre un nouveau départ. Je pars à leur rencontre afin de les rendre conscients du fait que s’ils ne croient pas en eux aujourd’hui, il leur sera difficile de passer le cap à 20 ou à 25 ans. Arriver à cet âge-là en accumulant les regrets sera déjà trop tard pour avoir des ambitions et surtout une raison d’être.»
Pour toutes ces raisons, Latifa Ibn Ziaten veut redonner confiance, motivation et sens de l’écoute à ces jeunes-là : «Je leur dis de réfléchir, de rêver, de s’accrocher pour avoir de l’espoir et voler de leurs propres ailes. La présence des parents, de l’entourage familial et du dialogue sont des éléments essentiels pour éduquer sainement les générations futures. Et lorsque ces personnes sont absentes, il est de notre devoir à tous de ne pas laisser ces jeunes-là à la dérive.»
Un combat qui lie les deux rives
Latifa Ibn Ziaten sillonne la France et le Maroc, faisant de l’association qui porte le nom son fils une véritable passerelle de dialogue entre les jeunes des deux rives de la Méditerranée. En effet, cette native de Tétouan et mère de cinq enfants a pu observer l’évolution de la société marocaine, qu’elle nous analyse selon ses constats :
«Les Marocains ont longtemps transmis des valeurs de respect, d’amour et de partage. Mais malheureusement, j’observe cette même démission générale au sein des familles de mon pays natal. Les jeunes s’influencent des attitudes des adultes, qui sont de moins en moins dans la communication.»
Par ailleurs et pour avoir fait du terrain auprès des écoles marocaines, Latifa Ibn Ziaten a constaté beaucoup de difficultés auprès des enfants : «Les classes sont très surchargés. Dans certaines régions, les enseignants viennent de loin, ils sont nerveux. Les enfants traversent des kilomètres à pieds pour assister à leurs cours. Ils perdent toute motivation pour continuer et les adultes sont rarement là pour la leur redonner… Mais ces jeunes n’y sont pour rien. Il est de la responsabilité des adultes de leur transmettre des valeurs nobles qui font grandir.»
Une bibliothèque pour tous
Dans le cadre de ses actions pédagogiques où l’exercice du développement personnel reste omniprésent, Latifa Ibn Ziaten est fière d’avoir ouvert quatre bibliothèques. Chacune est située une petite ville ou village du nord du Maroc (Fnidek, M’diq, Belyounech et Martil), où les enfants ont rarement accès au livre et à la lecture en dehors du cadre scolaire. Cependant, mettre en place un tel projet n’a pas été des processus les plus simples : «Les procédures étaient longues et les travaux ont mis du temps à aboutir.»
Aujourd’hui, seuls trois parmi ces temples du savoir sont en fonction. «La première bibliothèque qui a été ouverte a finalement fermé, il y a quelques mois, souligne Ibn Ziaten avec déception. Je trouve cela dommage et c’est encore de la responsabilité des adultes. Ils doivent donner leur chance aux générations futures, leur ouvrir les horizons et les aider à évoluer. Comment peut-on fermer un espace qui rend cela possible ?»
N’arrivant pas à concevoir que l’on peut laisser une bibliothèque à l’abandon, Latifa Ibn Ziaten se demande parfois si ses initiatives au Maroc pourraient un jour porter leurs fruits. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle se laisse abattre : «Je suis déterminée. Je ne lâcherai rien. De nos jours, beaucoup évoquent la promotion de l’éducation des enfants et des adolescents. Mais je pense qu’il faut s’intéresser également aux adultes, car il est tout aussi urgent de les conscientiser sur ces questions importantes. Le modèle et la transmission, c’est eux.»
Animée par cette conviction, la militante s’est rendue à Ouarzazate la semaine dernière pour rencontrer des écoliers de la région :
«J’étais émue par la volonté infaillible de la population locale et des enfants dans les cinq classes où je me suis rendue. Ils débordent d’énergie et ne demandent qu’à apprendre et à échanger. Ces enfants me rendent optimiste, car ils me rappellent pourquoi je dois continuer à mener ce combat avec et pour eux.»
En France, cette noble bataille de Latifa Ibn Ziaten a été couronné par la Légion d’honneur, le 11 mars 2016. Le 4 octobre 2017 est sorti dans l’Hexagone le documentaire «Latifa, le cœur au combat», co-réalisé par Olivier Peyon et Cyril Brody, qui suivent la militante dans son quotidien rythmé par l’action associative. Aujourd’hui, c’est à travers le monde que sa candidature au Prix Nobel de la Paix espère lui faire reconnaître son travail, où elle insiste sur le grand intérêt de «se recentrer sur l’humain pour mieux construire».