La dynastie Fatimide s’étendait du Maroc jusqu’à atteindre la Grande Syrie et le Hedjaz (région ouest de la péninsule arabique, la ville principale est Djeddah, mais les cités les plus connues sont les villes de La Mecque et Médine). La dynastie Fatimide est la seule des pays du Califat islamique qui a gouverné à avoir adopté officiellement la doctrine chiite ismaélienne.
Naissance de la dynastie Fatimide
Les chiites affirment que le prophète Mohamed a demandé peu avant sa mort d’être succédé par 12 imams distincts. Après la mort de Ja'far al-Sâdiq, cinquième imam, en l’an hégire 148, le chiisme s’est divisé en deux courants différents : un courant qui énonce que Musa al-Kazim a succédé à son père Ja'far al-Sâdiq, connu sous le nom de l’Imamat (le courant le plus répandu en Iran) ; un second énonçant que c’est Ismaïl ben Jafar, qui a succédé à son père Ja'far al-Sâdiq, nommé courant ismaélien. Les Fatimides étaient donc des ismaéliens.
Le fondateur de la dynastie Fatimide a voulu faire référence à son ascendance, qui comprend Ali ibn Abi Talib, quatrième calife de l'islam (656-661) et premier imam chiite, ainsi que son épouse Fatima Zahra, fille du prophète Mohamed. Toutefois, les historiens ne s’accordent toujours pas sur l’origine du nom «Fatimide».
L’établissement de la dynastie au Maroc revient à deux puissants prêcheurs, Abu Sufyan et Al-Halawany, envoyés par Abu Ja’far Al Sâdiq. Ils ont préparé le terrain pour Ubayd Allah Al-Mahdi, qui était l’un des premiers fondateurs de la dynastie fatimide.
Selon l’œuvre de l’historien égyptien Taqi Al-Din Al Makrizi, intitulée «Enseignements tirés par les Hanafites des informations des imams fatimides du califat», lorsque les deux prêcheurs sont décédés, la nouvelle de leur décès est parvenue à Rostoum Ibn Hassan Ibn Dandan, un chiite du Yémen. Ce dernier a envoyé Abou Abd Allah Ach-Chiî au Maghreb en lui disant : «La terre du Maghreb a été labourée par Abu Sufyan et Al-Halawany, ils sont décédés. Dorénavant, il ne reste plus que toi. Commence à travailler, le terrain a déjà été entamé.»
Revirement de situation
Abou Abd Allah Ach-Chiî a entamé son périple vers la région des Ikutamiyenes (Est de l’Algérie actuelle) en l’an hégire 288. Il a commencé à propager sa doctrine et a réussi à rallier autour de lui beaucoup de tribus. Peu après, les Aghlabides (dynastie d'émirs issue de la tribu arabe des Banu Tamim) qui contrôlent Afriqiya (la Tunisie actuelle), loyaux envers les Abassides, se sont sentis en danger et ont envoyé une armée pour vaincre Abou Abd Allah Ach-Chiî. La bataille qui s’en est suivie, en l’an hégire 290, a été le début de la fin du règne des Aghlabides et Abassides dans la région.
Quand la situation s’est stabilisée pour Abou Abd Allah Ach-Chiî, ce dernier a envoyé des hommes pour informer Ubayd Allah Al-Mahdi, qui résidait en Grande Syrie, des avancées de son travail et pour qu’il vienne gouverner au Maroc.
Lors du périple d’Ubayd Allah Al-Mahdi vers le Maroc, il a pu se déguiser en commerçant et passer inaperçu. Toutefois, une fois à Sijlmassa, capitale de la dynastie amazighe des Banu Midrar, le «Mahdi attendu» s’est fait démasquer et emprisonner. Abou Abd Allah Ach-Chiî a rassemblé son armée pour libérer Ubayd Allah Al-Mahdi et s’est dirigé vers Sijlmassa. Une fois arrivé à destination, il a encerclé la ville jusqu’à sa chute. Il a libéré Ubayd Allah Al-Mahdi et lui a remis les clés du pouvoir.
Avec le temps, la relation entre les deux hommes s’est détériorée, Ubayd Allah Al-Mahdi ne prenait plus conseil chez Abou Abd Allah Ach-Chiî. Le «Mahdi attendu» a décidé de tuer la personne qui lui avait donné le pouvoir ainsi que certains de ses proches, en l’an hégire 298, comme le relate Ibn Khaldoun dans son livre «Histoire d’Ibn Khaldoun».
Les ambitions d’Ubayd Allah Al-Mahdi n’ont cessé de grandir, il voulait avoir tout le Maroc sous sa poigne. Le souverain est parvenu à vaincre les Idrissides en l’an hégire 312.
Comment les Marocains ont fait face à l’expansion du chiisme ?
Le Calife fondateur de la dynastie fatimide a entamé la propagation du chiisme au Maroc. Selon le livre de l’historien égyptien Taqi Al-Din Al Makrizi, «Enseignements tirés par les Hanafites des informations des imams fatimides du califat», Ubayd Allah Al-Mahdi a ordonné, lors du prêche du vendredi, de «citer son nom (…) et que tous le pays l’appelle Al Mahdi prince des croyants. Un de ces disciples imposait aux gens le jour du vendredi d’emprunter le courant chiite, sinon il les tuaient.»
Les Fatimides ont fait face à des difficultés dans les régions où ils tentaient d’appliquer la doctrine chiite. Les scientifiques se sont opposés à cette mouvance, un conflit est né entre les prêcheurs sous le joug d’Ubayd Allah Al-Mahdi et la population, à cause de l’idéologie prônée par les Fatimides. Le monarque était obligé de suspendre sa propagation du chiisme pour apaiser la situation, comme le relate le livre de Mohamed Taha El Hajiri «L’étape de la propagation du chiisme dans le Maghreb arabe et son impact sur la vie littéraire».
Ubayd Allah Al-Mahdi a commencé à vouloir attirer et endoctriner les scientifiques puisqu’il les invitait à ses assemblées et ses séances de débat. D’ailleurs, ces séances sont devenues célèbres à cause des discussions qui résultaient entre le frère d’Ubayd Allah Al-Mahdi, Abou Abass et le cheikh Said Ibn Mohamed Ibn Hadid. Ce dernier «triomphait avec justice, et s’est fait connaître grâce à cette notoriété, jusqu’à ce que son fils lui dise : ‘Crains Dieu et n’exagère pas dans les débats avec cet homme’».
Caddi Ayyad expliquait dans un de ses livres : «Les sunnites du temps d’Ibn Abid à Kairouan (ville en Tunisie, ndlr) se cachaient beaucoup, comme s’ils étaient des parias. Dans leur vie quotidienne, ils faisaient face à des difficultés accrues. (…) Aux portes de leurs magasins étaient accrochées des têtes de moutons et d’ânes, avec des papiers où étaient écrits les noms des Sahaba (compagnons du prophète, ndlr). Si l’un des sunnites parlait ou bougeait il se faisait tuer et pris comme exemple.»
Ubayd Allah Al-Mahdi est décédé en l’an hégire 322. Son fils, Abou Kacem a pris le relais. Lors de son règne, plusieurs révolutions sont nées, la plus connue étant celle de Abou Yazid Kidar qui a appelé à sortir du joug des Fatimides. Abou Kacem décède en l’an hégire 333, son fils Ismail surnommé Al Mansour lui succède et parvient à arrêter la révolution d’Abou Yazid et de tuer le leader. Le monarque construit la ville de Mansouria (en Tunisie) et en fait sa capitale.
Al Mansour meurt en l’an hégire 341. Son fils Al Mouîz s’est battu pour étouffer les révolutions contre le régime des Fatimides. Ce dernier a envoyé son armée vers le Maroc pour conquérir les villes rebelles, qu’il est parvenu à avoir, sauf Ceuta et Tanger. Toutefois, le Maroc a connu une période de perturbations qui ont mené à la recrudescence des révolutions contre les Fatimides.
Al Mouîz a alors décidé de se diriger vers l’est. Il a envoyé ses troupes pour faire tomber les Abassides et conquérir l’Egypte. Il réussit son entreprise et construisit Le Caire, où il établit sa capitale. Le souverain ne voyait plus le Maroc comme un lieu stable pour y installer la dynastie fatimide.