Les femmes enceintes continuent de mourir au Maroc. Pas dans des zones enclavées où elles ont du mal à arriver aux maisons d’accouchement, mais dans des villes sans relief et sans gloire. La femme meurt à cause d’un système de négligence et de mauvaise gestion des moyens humains et matériels. Un système qui a favorisé la corruption des uns et l’épuisement des autres.
Hakima (nom d’emprunt) est enceinte de son troisième enfant, fait partie de la majorité des Marocains qui vivotent dans une précarité menaçante. Grossesse mal suivie comme la plupart de ses compatriotes, elle arrive à l’hôpital avec un énorme ventre et une prise de poids excessive.
Le premier médecin de garde, submergé par le travail, se défile en lui prescrivant une échographie au privé, sachant qu’il possède un échographe qui fonctionne à l’hôpital et qu’il pouvait lui faire gratuitement, mais passons. Lui, il se défait des «patates chaudes» et ne pense bien évidement ni à ses confrères, ni aux patientes. La charge de travail et le climat ambiant d’impunité retire petit à petit aux acteurs leur empathie, voire carrément leur sens du devoir.
La maternité et le personnel payé par les impôts de ses compatriotes ne lui ont servi à rien
Le lendemain, la femme arrive vivante aux urgences de la maternité, en milieu de journée, cette fois-ci en plein travail. Les sages-femmes l’admettent et avisent le gynécologue de garde de la dilatation du col mais certainement sans l’alerter de l’état anormal de la grossesse de Hakima, qui avait un ventre excessivement énorme. Les heures passent et le col fini par s’ouvrir. L’équipe de nuit prévient le médecin que la dilatation est complète, mais le fœtus ne descend pas dans le bassin. Sans examiner la femme, le médecin dit aux sages-femmes de laisser évoluer parce qu’elle finira par accoucher par les voies naturelles.
Effectivement, Hakima a fini par accoucher, certainement dans d’atroces douleurs, d’un nouveau-né de plus de six kilos qui décèdera dans les 48 heures à cause de l’asphyxie qu’il a subie sous le regard du personnel soignant. Quant à Hakima, elle a eu une hémorragie massive qui a occasionné un arrêt cardiaque au moment de la transférer au bloc opératoire.
Hakima a vécu sa grossesse et est décédé avec son nouveau-né comme si elle avait été seule dans un désert médical. La maternité et le personnel payé par les impôts de ses compatriotes ne lui ont servi à rien. Parce que la politique de santé reproductive est défaillante. Justement parce qu'il y a plus de politique que de santé, on a dans les hôpitaux provinciaux peu de médecins et de sages-femmes et une charge de travail insupportables, et en périphérie, des médecins et des sages-femmes qui travaillent trop peu. Mais la politique exige des chiffres de présence, pas de l’efficience, nous dit-on.
Hakima est morte, laissant deux orphelins et un mari désemparé
Alors ce système défaillant fait des premiers des personnes épuisées ou corrompues, et des seconds des feignants et des incompétents. Ceux qui résistent à cette destruction de leur personnalité et de leur carrière deviennent malades ou jettent l’éponge. Jamais, le personnel de santé publique n’a pensé à se manifester pour améliorer ses conditions de travail et protéger ses patients. Quant aux syndicats, ils se font un devoir de défendre ceux qui commettent des erreurs ou des fautes mortelles, ou ceux qui sont pris en flagrant délit de corruption.
Hakima est morte, laissant deux orphelins et un mari désemparé. Son histoire va aller au tribunal, et même s’il y aura quelques sanctions, et encore, d’autres femmes et d’autres nouveau-nés vont continuer à mourir tous les jours dans un service public défaillant et parfois meurtrier.
Alors comment remédier à tout ceci avec les moyens qu’on possède ? C’est pourtant simple : il suffit d’une volonté. Le peu de médecins et de sages-femmes qu’on possède doivent être affectés dans la province, pas dans un hôpital précis, pour que le délégué du ministère et le chef du pôle mère-enfant puissent les faire circuler entre l’hôpital provincial et les trois ou quatre hôpitaux périphériques. Ceci permettra aux équipes d’avoir des gardes espacées et de travailler sereinement. Les médecins doivent être rémunérés de leurs gardes avec un budget à trouver dans la commune et les sages-femmes méritantes encouragées par des primes de rendement. C’est avec des méthodes incitatives qu’on favorisera un climat de travail sain et serein et un bannissement de la corruption, afin que chacun recouvre sa dignité et la société un bien-être.