Le conflit du Sahara coûte chaque année deux points de croissance au pays de Maghreb, expliquait en juin 2010, le quotidien français Le Monde. Un constat chiffré en d’autres termes par Hillary Clinton, le 12 avril, à Washington : «la diminution des barrières douanières en Afrique du Nord permettrait, à elle seule, de booster les niveaux de PIB jusqu’à 7 ou 8% dans des pays comme la Tunisie ou le Maroc». Au Maroc, la croissance du PIB prévue pour 2011 est d’environ 5%.
Des décennies d’attaques verbales, difficiles à surmonter
Des différends politiques vieux de plus d’un demi-siècle empêchent une ouverture des frontières et la croissance afférente. Des différends d’autant plus difficiles à surmonter qu’ils sont utiles pour les régimes en place. Comme l’explique Francis Ghilès, chercheur au centre d’étude et de documentation internationales de Barcelone, les régimes «sont devenus maîtres dans l’utilisation des peurs de l’Autre pour ralentir toute évolution sérieuse vers des formes de gouvernement plus démocratique et une distribution plus équitable des richesses nationales».
Une propagande relayée par de nombreux organes de presse des deux pays. Selon le journaliste Ali Chibani, une «guerre des plumes» ne fait qu’ajouter aux tensions entre les deux pays. Chaque rumeur est bonne à prendre. Pour Francis Ghilès, de nombreux journalistes algériens, marocains, mais aussi français, ont un «rapport fantasmé» avec la réalité des relations Maroc-Algérie.
Le terrain économique pour sortir de l’impasse politique
Le chercheur a donc choisi, depuis plusieurs années, de se concentrer sur les relations économiques dans la région. Objectif : chiffrer le «coût du non-Maghreb», et présenter le potentiel de projets concrets de développement de ces relations. La manière la plus constructive d’aborder les relations Maroc-Algérie, selon lui. Les propos d’un journaliste algérien exilé en France permettent d’illustrer cette idée. «Aujourd’hui, un journaliste algérien qui veut critiquer la fermeture des frontières avec le Maroc n’a qu’un seul moyen de le faire sans se faire attaquer : enquêter sur la contrebande entre le Maroc et l’Algérie, critiquer le marché noir qui a une ampleur impressionnante».
Aujourd’hui, le peu de marchandises qui circulent légalement entre le Maroc et l’Algérie passent par des ports français ou espagnols. Pourtant, la contrebande florissante démontre le potentiel commercial des régions frontalières, mais aussi de l’ensemble des deux territoires. L’agroalimentaire en est un exemple. Les complémentarités entre le Maroc, avec ses réserves d’eau, l’Algérie, avec l’abondance de sources d’énergie, et le savoir-faire tunisien en matière de procédés agro-alimentaires pourraient être mises à profit. Le secteur les transports et de la logistique est intimement lié au commerce. Le Maroc aspire à en devenir un leader méditerranéen, mais la frontière fermée handicape son développement.
L’économiste Hassan Benabderrazik préconise, en cas d’ouverture des frontières, de miser sur un hub régional à Tanger et de développer en parallèle un réseau de petits ports. Les réseaux autoroutier et ferroviaire pourraient rapidement être raccordés pour compléter les dispositifs incitant des entrepreneurs régionaux et internationaux à investir au Maghreb, en leur assurant un maximum de flexibilité.
Le Maghreb des banques et de l’énergie
Aujourd’hui, le secteur bancaire de l’Algérie n’est pas compétitif et reste opaque. Il pénalise le développement économique, estime Francis Ghilès : limiter les fuites de capitaux et attirer les investissements passe par des banques performantes. La privatisation du secteur bancaire en Algérie pourrait offrir la possibilité à des banques comme Attijariwafa Bank de changer la donne, créer une banque d’ordre régional suivant des best practices. Une place financière nord africaine commune attacherait davantage le Maghreb à l’économie mondiale.
L’énergie est un autre secteur d’avenir. L’Algérie est obligée de réformer son système d’exploitation des hydrocarbures face à d’importants défis, notamment l’acheminement, la diversification des acheteurs, et d’investissements étrangers. La production nationale diminue alors que la consommation interne augmente. Sortir de ces difficultés peut se faire en instaurant une meilleure coopération avec le Maroc. Une rencontre maroco-algérienne a eu lieu en mars 2011 ; un nouveau gazoduc entre les deux pays va être étudié.
Le Maroc est le premier pays à attirer l’intérêt, en matière d’énergies renouvelables, notamment celui de la Desertec industrial initiative et celui du Plan solaire méditerranéen. Cependant, les projets de grande envergure en matière de centrales solaires capables d’exporter de l’électricité vers l’Europe, considèrent systématiquement le Maghreb dans son ensemble. L’Algérie pourrait profiter du développement des énergies renouvelables pour répondre à sa demande interne et exporter une plus grande partie des ses hydrocarbures.
Le Maghreb chimique
L’exemple le plus impressionnant en matière de coopération possible entre le Maroc et l’Algérie est peut-être celui des engrais et des plastiques. Avec le gaz et le soufre algériens et les phosphates marocains, certains types d’engrais pourraient être produits à des prix défiant toute concurrence mondiale, dans un contexte de demande croissante. «Imaginez ce que cela peut créer comme emplois, s’exclame Francis Ghilès, notamment en matière de main d’oeuvre qualifiée et de cadres». Sur la même base de répartition des richesses naturelles, des usines de plastique pourraient voir le jour. Le «Maghreb chimique» pourrait créer des liens économiques forts entre les deux pays.
Prenant en compte les craintes des deux parties à s’engager dans de telles entreprises, des professionnels et chercheurs ont proposé, lors d’un séminaire en 2008, à Washington, sur l’avenir du Maghreb, d’adopter des modes de financements triangulaires. La Sonatrach et l’OCP pourraient prendre des parts dans le capital de ces entreprises, et des investisseurs internationaux seraient invités à entrer dans des joint ventures maghrébines.
Bientôt trop tard ?
Le potentiel est énorme et l’enjeu est aussi important pour le Maghreb que pour l’Europe, le Maghreb pouvant devenir le «réservoir de croissance» pour le nord de la Méditerranée. Cependant, 17 ans de fermeture des frontières laissent des séquelles. Aujourd’hui, une logique Nord- Sud s’est instaurée, le gros des échanges s’effectue avec l’UE. Les opérateurs économiques des trois pays, mis à part les contrebandiers, connaissent mieux les marchés européens que ceux de leurs voisins. Le marché maghrébin reste à inventer.
Cet article a été précédemment publié dans Yabiladi Mag n° 8