Et ce n’est pas seulement au Maroc qu’on en parle depuis dimanche. La désormais célèbre photo d’une femme vêtue d’une burqa, d’une mini-jupe et de talons aiguilles a en effet été relayée par des médias étrangers. C’est au festival L’Boulevard, à Casablanca, tenu du 15 au 24 septembre que ces images ont été prises. Très vite, elles sont devenues virales, suscitant diverses réactions parmi les internautes… et toute une polémique.
Ce que certains d’entre eux ignorent, c’est qu’il s’agit du tournage du nouveau projet de Hicham Lasri. Dans un entretien à Yabiladi, le réalisateur et scénariste marocain nous en dit plus sur sa nouvelle trilogie.
Vous faites à nouveau parler de vous, notamment sur les réseaux sociaux et dans les médias avec cette image d’une femme habillée à moitié en burqa et en mini-jupe. S’agit-il d’un teasing ?
Ce n’est pas un teasing. Ce sont des personnes qui ont pris des photos pendant qu’on tournait. Ce n’est pas moi qui ai balancé ça. Ce sont des gens qui assistaient à L’Boulevard qui ont pris des photos pour les publier sur les réseaux sociaux, ce qui a engendré cette polémique.
En fait, j’ai tourné un film musical qui raconte une histoire. A la limite, je ne me sens pas concerné parce que ces photos ne font partie de ma stratégie de communication.
Mais comme c’est le cas pour mes récents projets, il y a toujours des gens qui interviennent pour tenter de donner un sens à ce que je fais sans savoir de quoi ça parle. Ça m’amuse puisque personne ne sait ce qu’on a tourné mais tout le monde donne un avis positif ou négatif sur une image, une icône. En tant que scénariste, je trouve génial le fait qu’une seule image puisse soulever autant d’intérêts.
Mais c’est aussi du buzz, bon ou mauvais, qui ne peut qu’être bénéfique pour votre nouveau projet. N’est-ce pas ?
Je pense que le buzz, c’est toujours de bonne guerre. Disons que ce qui est amusant au Maroc, c’est que les organes arabophones poussent toujours vers la bêtise, le complot, le mounkar. Même dans les commentaires et dans des interviews que j’ai données, les médias arabophones sont toujours en train de crier au complot. C’est fatiguant.
Il y a aussi des gens qui disent «okay, ce sont des expérimentations sociologiques d’une certaine manière, c’est une création qu’il faut voir pour avoir un avis, sinon on parle dans le vide».
Qu’est-ce qui vous a motivé pour ce nouveau projet ?
Récemment, j’ai été révolté par l’histoire de la jeune fille agressée sexuellement par un groupe de jeunes dans un bus, et j’ai participé au sit-in à Casablanca. Mais en rentrant chez moi, je me suis dit que finalement, on ne nourrissait que le néant. On s’indigne mais deux jours après, on passe à autre chose. Généralement, on retrouve les mêmes têtes qui tentent de faire résistance mais la société finit toujours par passer à autre chose. C’est un peu dommage de ne pas avoir marqué le coup en attaquant de front.
Ce qui est intéressant, ce n’est pas de véhiculer des idéologies, mais c’est d’accepter notre humanité et nos défauts et de travailler de dessus, de les réparer.
Il s’agit donc d’une trilogie musicale basée notamment sur des chansons à travers trois films. Que racontent-ils ?
Le projet est une trilogie que j’appelle «La trilogie Wonder Woman». C’est donc trois films dans lesquels il y a à chaque fois un morceau. Le premier, c’est la chanson de Betweenatna qui raconte l’histoire d’une femme qui passe dans la rue et se fait draguer, à la marocaine. Le mec est adossé à un mur, il la drague, l’insulte parfois. Sauf que cette femme, une icône parce que c’est important qu’on soit dans l’icône, dans la représentation d’une ultra-féminité assumée, décomplexée et fière, revient et provoque chaque homme qui l’a drague en duel, comme au 18e siècle, et tous ces gens-là vont se retrouver à la fin pour tirer les uns sur les autres.
Le deuxième film, c’est l’histoire d’une burqa. Le concept est simple mais je ne peux pas en parler parce que sinon je vais révéler des éléments. L’idée de base, c’est de jouer sur la question suivante : est-ce qu’on veut que nos femmes soient très belles, appétissantes et fortes et qu’elles s’assument avec tout ce qu’elles sont, ou est-ce qu’on veut les cacher et ne pas les montrer ? C’est à la limite d’une société comme la nôtre. On trouve toujours génial de voir des femmes voilées qui sont très coquettes, très jolie, et puis des femmes qui sont tatouées, plus à l’aise avec une autre forme d’expression corporelle sans omettre de juger.
J’ai donc trouvé intéressant de travailler sur cette idée-là qu’on accepte mais toujours avec un «pour ou contre». Ça peut être une approche intéressante parce qu’on a toujours besoin de créer cet effet de tension, même si je trouve que ce n’est pas intéressant de se dire pour ou contre le fait que les gens soient libres. Je m’en fiche. Je préfère que les gens soient libres et fassent ce qu’ils veulent.
Le troisième film est basé sur une chanson de Hoba Hoba Spirit qui sort prochainement…
Le troisième film sera fait sur une chanson de Hoba Hoba Spirit. C’est aussi l’histoire d’une femme. Au Maroc, on vit beaucoup avec une sorte de cliché tiers-mondiste selon lequel la femme d’un homme, c’est aussi sa mère. Je travaille donc sur cette question d’une femme que son mari prend pour sa mère et que c’est elle qui doit tout faire. C’est carrément un film comique sur une femme qui décide de tout arrêter, sans dialogue. Et la chanson du groupe musical est top : elle s’appelle «Moulay Taher» et elle est juste extraordinaire.
J’ai donc la chance de collaborer avec des artistes capables de comprendre, en même temps de s’amuser et réfléchir, faire réfléchir les gens et bousculer la société. Je me suis donc permis de faire trois films sur la femme au Maroc de 2017-2018 et ce qui se passe.
Mais finalement, vous êtes un peu habitué depuis que vous faites des projets pour le web…
Je travaille depuis presque un an sur des projets qui ne sont pas destinés au cinéma. J’étais en fait fatigué de faire des films et je me suis tourné vers le web. J’ai donc commencé à faire ce qui m’amusait. A ce moment-là, on sentait que tout le monde prenait tout au sérieux, à commencer par la religion. Et ce n’est pas la religion divine mais plutôt celle qui est pratiquée et comme une idéologie. Il y a une idéologisation de la religion qui, moi, me perturbe. J’ai grandi dans un pays où chacun fait ce qu’il veut. On avait juste peur de la politique, de Driss Basri, du flic et du Moqadem. Mais on n’était pas dans un rapport hypocrite et intéressé à la religion. C’était l’imam et le fqih qui faisait ça. On n’en était pas à cette échelle assez effrayante qui appelle généralement au fascisme. C’est assez effrayant de voir comment quelqu’un, parce qu’il pense avoir raison, pense avoir le droit de dire aux gens ce qu’ils doivent faire, ce qu’ils doivent être, comment ils doivent s’habiller ou manger et ce qu’ils doivent dire. Cela me gêne.