A Safi, la police judiciaire aurait convoqué mercredi plusieurs directeurs de publication de plusieurs médias électroniques. Objectif : signer un procès-verbal attestant avoir pris connaissance de l’entrée en vigueur du nouveau Code de la presse et de l’édition, rapportent hier nos confrères de Lakome.
L’entrée en vigueur de ce code est désormais la pomme de discorde entre, d’une part, le ministère de la Culture et de la communication et d’autre part, deux courants de professionnels. Applaudi par la Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ) et le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM), le nouveau texte publié le 15 août 2016 dans le Bulletin officiel et entré en vigueur le 15 août dernier, est dénoncé par plusieurs médias en ligne.
A Safi, un tout premier «message d’avertissement»
Contacté ce jeudi par Yabiladi, Abderrahim Akriti, directeur de publication du média local Safi Today, confirme l’information. «En effet, hier, la police judiciaire de Safi nous a convoqués à propos du nouveau Code de la presse», relate-t-il. A l’arrivée, le procès-verbal est, selon lui, déjà prêt. «Vous donnez l’intitulé de votre poste et des informations sur le site dont vous êtes responsable. Vous signez le PV pour attester avoir pris connaissance du nouveau code et vous vous engagez à respecter la régularisation de la situation de votre média», poursuit notre interlocuteur.
Pour Abderrahim Akriti, qui n’a pas encore déposé de dossier auprès du tribunal de première instance de Safi, aucun média dans cette ville de la région de Marrakech-Safi n’a entrepris cette démarche. Et pour cause, il cite notamment des conditions handicapantes imposées par le texte. «Seuls quelques-uns remplissent ces exigences. Pour Safi Today, nous cherchons toujours un directeur de publication disposant de la carte de presse. Moi j’en ai une puisque je suis le correspondant du journal Al Ahdath Al Maghribiya à Safi, mais pas en tant que directeur de publication», nous explique-t-il. Pour ce journaliste, la convocation est un «message d’avertissement» pour suspendre la publication en attendant de régulariser sa situation.
Le ministère de tutelle ne semble pas être au courant
Mais une source interne au ministère de la Culture et de la communication, contactée par Yabiladi, déclare ce jeudi ne pas être au courant. «Nous apprenons cette information à travers vous», répond notre source, avant de s’étaler sur les aspects de la nouvelle loi. «Il n’y a jamais eu de problème. La loi est sortie il y a une année avec les dispositions et a été publiée au B.O. (Bulletin officiel, ndlr) le 15 août 2016», rappelle-t-elle.
«Il y a un texte qui a été publié. Les personnes concernées comprennent ces procédures et ces exigences. Le ministère avait effectué une grande consultation auprès des professionnels. Et puis, nous continuons de recevoir les dossiers de régularisation qui nous sont parvenus par le parquet général. Cela veut dire qu’il y a encore des sites qui régularisent leur situation.»
Pour notre source, «il faut respecter la loi. S’il y a un autre texte qui prolonge de six mois le dernier délai, elle doit être publiée dans le B.O.». «Ce n’est que par cette voix que le texte sera applicable et s’il y a un amendement, il sera fait», répond-t-elle à notre question de savoir où en est la proposition formulée par le ministre de la Culture et de la communication au conseil du gouvernement mais reportée sine die. Et notre source d’évoquer implicitement la liberté du parquet général de choisir la façon d’appliquer la loi sans contrainte imposée par le ministère.
Excès de zèle des autorités locales, simple coup de pression ou piqûre de rappel ? Pour l'instant seule la ville de Safi est concernée par ce rappel à l’ordre des autorités locales. Mais une chose est sûre : le nouveau Code ne fait pas l’unanimité au sein des professionnels malgré les assurances du ministère de tutelle. Pis, certains le considèrent même comme une atteinte à la liberté d’expression et une tentative d’achever la diversité au sein du paysage médiatique marocain.
Un texte «inconstitutionnel»
Contacté par Yabiladi, Said Essoulami, président du Center Of Media Freedom (Centre de la liberté des médias, CMF), confirme cette crainte. «C’est lamentable. Le ministre n’avait comme interlocuteur que le syndicat et la Fédération, deux institutions qui ont une conception du journalisme très étroite», estime-t-il. Il nous rappelle que la FMEJ et le SNMP «attaquent la presse électronique et la présentent comme une presse sans valeur, sans morale, sans éthique et sans déontologie qu’il faut organiser», avant d'appuyer son argumentation sur le droit international.
«Dans le droit international, le comité des droits de l’homme des Nations unies, qui protège et s’assure de la mise en œuvre du Pacte sur les droits civils et politiques, a proposé une nouvelle interprétation de l’article 19 sur la liberté d’opinion et d’expression pour expliquer que le journalisme n’est pas un métier mais une activité que tout individu a le droit d'exercer sans qu’il ne soit obligé d’être autorisé par la loi. Ils ont même ajouté qu’un journaliste n’a pas besoin d’accréditation pour exercer son travail. Le Code de la presse et de l’édition est donc une violation grave du droit international.»
Pour Said Essoulami, la majorité de la presse électronique qu’on a au Maroc est une presse locale qui donne une information introuvable dans la presse publique ou nationale. «Sans amendement, on va exclure des milliers de médias en ligne notamment locaux et cela est grave. Il faut que les associations se mobilisent et présentent un plaidoyer», enchaîne-t-il. Le président du CMF d'affirmer qu’«on ne peut pas réduire le champ de la liberté de la presse et achever la diversité parce que ces sites en ligne eux-mêmes qui reflètent cette diversité». «Il aura donc des médias qui détermineront ce que nous en tant que Marocains devont savoir et c’est ridicule», lâche-t-il.
Il nous informe aussi qu’un recours auprès de la Cour constitutionnelle sera effectué, «parce que ce nouveau code est inconstitutionnel et viole les articles de la Constitution sur la liberté de la presse». Said Essoulami n’exclut pas une saisine du Comité des droits de l’homme des Nations unies pour demander un avis.