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Constitution marocaine : De l’audace, une révolution, pas une simple évolution [Tribune]

Comme dans tous les autres Etats arabes portés par l’élan impulsé par les Tunisiens et les Egyptiens, le Maroc connait une certaine effervescence sociale depuis le mois de février 2011 avec des revendications pour plus de liberté et d’Etat de droit, la fin du népotisme, du despotisme et de la mainmise de l’Etat sur l’économie par un individu et sa cour. L’une des principales revendications des manifestants du 20 février est la révision de la constitution, base du népotisme en vigueur. Face à cette pression - on aurait préféré que cette réforme intervienne bien avant ! -, le Roi a eu l'habileté d'annoncer rapidement la réforme de la constitution, sans attendre que la situation se dégrade. Une tribune de Jad Siri, juriste

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Il apparait, cependant, à la lecture de la constitution actuelle, construite, rédigée et orientée pour le seul et exclusif pouvoir du Roi, qu’une simple réforme à la marge n’est pas possible. La constitution actuelle ne peut être seulement ajustée, elle ne peut faire l’objet de quelques modifications techniques ou isolées. Elle doit être revue intégralement. Il faut changer la philosophie et les principes de base, avec pour point de départ et horizon : les droits de l’Homme, l’Etat de droit, et le principe selon lequel ceux qui dirigent l’Etat le font pour un temps limité et doivent rendre des comptes au peuple. Ce n’est pas une simple évolution de la constitution qu’il faut réaliser, mais une révolution complète de celle-ci.

Dès lors, la commission ad hoc chargée de proposer une réforme de la constitution doit revoir intégralement la constitution actuelle et proposer un texte nouveau fondé sur des principes nouveaux. Les orientations données dans le discours du Roi du 9 mars en offrent la possibilité :

- «l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives et la garantie de leur exercice» par la «constitutionnalisation des recommandations judicieuses de l’IER, ainsi que des engagements internationaux du Maroc en la matière», la «constitutionnalisation des instances en charge de la bonne gouvernance, des droits de l’homme et de la protection des libertés»,

- «la consolidation du principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs» avec «un parlement issu d’élections libres et sincères» disposant «de nouvelles compétences lui permettant de remplir pleinement ses missions de représentation, de législation et de contrôle»,

- un «gouvernement élu, émanant de la volonté populaire (…) jouissant de la confiance de la majorité à la Chambre des Représentants», «la consécration du principe de la nomination du premier ministre au sein du parti politique arrivé en tête aux élections de la Chambre des Représentants», «le renforcement du statut du Premier Ministre en tant que chef d’un pouvoir exécutif effectif, et pleinement responsable du gouvernement, de l’administration publique, et de la conduite et la mise en œuvre du programme gouvernemental» et enfin

- la «moralisation de la vie publique et la nécessité de lier l’exercice de l’autorité et de toute responsabilité ou mandat publics aux impératifs de contrôle et de reddition des comptes».

Il faut donc donner une traduction constitutionnelle concrète à ces principes. Notamment :

- concernant la question des libertés publiques, il convient d’opérer deux changements : tout d’abord énoncer de manière détaillée, dans la constitution, les libertés et droit fondamentaux de tous les Marocains, incluant les droits des médias ; il convient ensuite de faire du Conseil National des Droits de l’Homme un organe prévu et organisé par la Constitution, dont les membres doivent être indépendants et dotés de pouvoirs d’investigations concrets et publics,

- concernant le parlement, s’il va de soi qu’il doit être issu d’élections libres et sincères, il doit disposer de moyens d’actions. La constitution doit donc traiter, avec suffisamment de précision comment il initie, discute, amende et vote la loi. La constitution doit doter le parlement de moyens de contrôle du gouvernement. Cela passe par les questions publiques au gouvernement et les réponses publiques de ce dernier, le contrôle des nominations dans l’administration, la faculté de censurer le gouvernement, la faculté de mener une enquête sur un évènement particulier, la faculté d’auditionner toute personne et l’obligation de chacun de répondre à cette convocation pour audition, etc.

- concernant le gouvernement :

  Tout d’abord, le premier ministre doit être issu du parti arrivé en tête aux élections législatives. Comme le régime ne peut être a priori que parlementaire, avec un gouvernement devant obtenir la confiance du parlement, il convient de prendre comme critère de parti arrivé en tête, non pas le parti ayant obtenu le plus de voix mais celui qui a obtenu le plus de sièges à la chambre des représentants. Dans un tel système, il faut dégager une majorité parlementaire, socle de base sur lequel s’appui le gouvernement pour gouverner. Il ne peut pas faire voter les lois s’il ne dispose pas de majorité parlementaire… Pour que la répartition du nombre de siège de députés «colle» au plus près à la répartition des voix exprimées par les Marocains lors des élections législatives, il convient d’adopter un mode de scrutin proportionnel. Ce dernier doit néanmoins être «corrigé», compte tenue de l’éclatement actuel du champ et des partis politiques, afin de créer des partis majoritaires ou du moins des blocs de majorités cohérents.

  Ensuite, «le renforcement du statut du Premier Ministre en tant que chef d’un pouvoir exécutif effectif, et pleinement responsable du gouvernement, de l’administration publique, et de la conduite et la mise en œuvre du programme gouvernemental» implique les principes suivants : le premier ministre, dès lors qu’il est issu du suffrage populaire et qu’il doit obtenir la confiance du parlement, seul le parlement doit pouvoir le révoquer au travers d’une motion de censure. Dès lors, le Roi ne doit plus pouvoir congédier le gouvernement, de la même façon qu’il ne peut plus le choisir puisqu’il doit tenir compte du suffrage populaire. En conséquence, le gouvernement est indépendant du Roi.

Etant chargé de mettre en œuvre les politiques promises au peuple pour se faire élire, le gouvernement doit disposer de la faculté d’initier, aux côtés du parlement, les lois et de pouvoir édicter des règles de droit par décret, dans le champ défini par la constitution. Il doit également disposer de l’administration publique et donc du pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires. En effet, il ne peut pas être responsable d’une politique sans disposer du pouvoir pour la mettre en œuvre. A l’extrême, il doit pouvoir disposer, selon des mécanismes de contrôle, du pouvoir de dissolution du parlement, si, en cas de crise, ce dernier l’empêche de gouverner et le paralyse dans son action.

Conséquemment, le Roi doit régner sans gouverner, sans disposer du pouvoir d’édicter le droit ni du pouvoir de nomination. Il doit rester neutre et indépendant et être le garant du bon fonctionnement des institutions. A ce titre, il doit pouvoir participer, dans des cas très particuliers, à la nomination de certains membres d’organes de contrôle constitutionnel (Conseil constitutionnel etc.)

  Enfin, la «moralisation de la vie publique et la nécessité de lier l’exercice de l’autorité et de toute responsabilité ou mandat publics aux impératifs de contrôle et de reddition des comptes» implique un principe simple à faire figurer dans la constitution : la déclaration de patrimoine non seulement des membres du gouvernement mais aussi des fonctionnaires, à leur entrée et à leur sortie de fonction.

Il faut donc que la commission chargée de proposer une réforme de la constitution soit audacieuse et tire toutes les conséquences et implications données par les orientations du discours du 9 mars.

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