Il y a 43 ans, Moha Meziane quittait son pays natal pour l’hexagone. Homme de 70 ans, discret, pudique, timide, il trouvera même du mal à se livrer et à nous en dire plus sur son expérience. Il parvient toutefois à partager avec nous une partie de sa vie, celle qui relate son départ loin des siens et surtout de sa femme. Une femme qu’il aime mais d’un amour qu’il garde pour lui.
«Ma femme ne m’a jamais fait part de ses appréhensions ou de ses craintes quant à mon départ. Après tout, nous n’abordons jamais ce genre de sujet. Moi je travaille et elle, elle reçoit l’argent. Pour moi, l’essentiel était qu’elle et mes enfants ne manquent de rien.»
Aujourd’hui résidant au foyer d’hébergement Regain à Montpellier (Sud de la France), le septuagénaire compte les journées et les heures qui le séparent du retour aux siens. Un voyage qu’il attend plus particulièrement à l’approche de l’été. Un moment propice aux retrouvailles qui lui permet de se ressourcer et de visiter toute sa famille.
De la mine au bâtiment
Mais avant son retour, il a voulu nous conter ses débuts en terre inconnue. Une France qu’il n’avait jamais vue mais qui l’a accueilli : «je suis arrivé en France en 1974 et je n’avais alors que 27 ans. J’étais jeune.»
A cette époque, «la France embauchait surtout des Marocains pour travailler dans le charbon, dans les mines. C’est dans ce domaine que j’ai commencé», raconte Moha. En effet, sa vie professionnelle, il l’a débutée dans les mines dès l’aube de ses trente ans. Un travail pénible qui n’a pas duré : il fût victime d’un accident en chantier et a été contraint d’arrêter.
«L’employeur nous faisait passer des visites médicales tous les 6 mois. Au bout de la troisième visite (après 18 mois, ndlr), j’ai reçu un avis défavorable compte tenu de mes séquelles au dos. Je me suis résigné car au vu de mon état de santé, on ne m’a pas renouvelé mon contrat. A l’issue de cette période, j’ai dû partir.»
Un échec qui ne l’a pas empêché de se relever plus fort. Dans des cas similaires, l'entreprise remettait au salarié un billet d’avion pour retourner vers son pays d’origine, nous explique Moha. «On m’avait remis ce billet pour Casablanca et fait toutes les démarches pour assurer mon retour. Or, je ne me suis jamais présenté à l’aéroport», nous confie-t-il avec amusement.
Et d’ajouter : «j’ai décidé de me prendre en main seul et de chercher du travail». C’est de cette manière que le natif de Tinghir s’est retrouvé dans les chantiers et la construction des bâtiments, un secteur qu’il n’a jamais quitté jusqu’à sa retraite. Dans ce domaine, Moha avait également des raisons de se réjouir : «J’ai fini dans le bâtiment mais c’était bien, dans les chantiers nous étions de nombreux Marocains.»
Des droits bafoués
Les droits sociaux étant un thème récurrent quant à la situation des Chibanis en France, Moha ne lésine pas sur les mots. Lésés par rapport aux travailleurs de nationalité française et bénéficiant d’un statut précaire, des hommes mais aussi des femmes ayant servi la France, se retrouvent généralement privés de droits. «Je touche ma retraite mais heureusement que j’ai droit à un supplément, sinon ce serait insuffisant pour vivre. Mais le problème, c’est que pour y avoir droit, je ne peux pas séjourner plus de 6 mois au Maroc, même si ma famille est là-bas», se révolte ce papa de six enfants.
«Pourquoi les autres n’ont pas ces contraintes ? Eux, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Je me souviens qu’en 2012, on m’avait même privé de ma pension durant huit mois. Il est vrai que j’ai tardé un petit peu au Maroc mais ce n’est pas une raison», se désole ce septuagénaire qui n’a jamais touché cet argent par la suite.
Malgré toutes ces péripéties et ce parcours presque rocambolesque, Moha garde espoir en la vie. Surtout depuis que trois de ses enfants sont venus en France. Pas à Montpellier, certes, mais de cette façon il se sent moins seul. «Deux de mes filles se sont mariées et vivent ici, ainsi qu’un de mes fils qui travaille également en France. Ils sont là depuis peu et je vis quand même seul au foyer. Mais ce n’est pas comme si tout le monde était au Maroc», conclut le retraité.