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Grand Angle

Désintox : Le Conseil supérieur des oulémas du Maroc n'a pas modifié sa position sur l’apostasie

Emballement médiatique sur une "fatwa" modifiant la position du Conseil supérieur des oulémas du Maroc au sujet de l'apostasie. De sites en sites, l'information a subi de multiples réinterprétations au Maroc pour finir en fausse conclusion dans la presse internationale. Comme le Petit Poucet, nous avons remonté le chemin en suivant les cailloux semés ici ou là. 

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Une rencontre du Conseil supérieur des oulémas du Maroc. / Ph. MAP
Temps de lecture: 3'

Le Conseil supérieur des oulémas du Maroc a-t-il modifié sa position sur l’apostasie ? En tous cas, l’information est d’ores et déjà confirmée -hâtivement- par des médias marocains et étrangers. Hier, le quotidien La Croix a annoncé que les apostats ne sont plus passibles de la peine de mort au Maroc. Le journal français, réputé sérieux, note qu'à travers cette décision, le Conseil supérieur des oulémas du Maroc revient sur sa fatwa de 2012 et juge désormais que la peine de mort doit être réservée à ceux qui «trahissent leur pays».

Une information relayée par la presse sans vérification

«Cette instance présidée par le roi et chargée d’émettre des fatwas (avis religieux) est donc ‘revenue sur sa position’. Pour justifier ce revirement, les ‘savants marocains ont redéfini l’apostasie non pas comme une question religieuse, mais comme un sujet politique plus proche de la ‘haute trahison’», précise La Croix.

Sa source ? Le site d’information Morocco World News qui rapportait lundi cette actualité en évoquant un document intitulé «La voie des savants», distribué lors de la récente session ordinaire du Conseil. Le site d’information estime que cette fatwa n’est pas une nouvelle et rappelle qu’elle figure dans les enseignements de Sufyan al Thawri, érudit du premier siècle de l’islam et fondateur d’une école juridique sans postérité. La source de cette information, que Morocco World News ne cite pas, a pourtant été dévoilée la veille (dimanche 5 janvier) par nos confrères d’Alyaoum 24.

Il s’agit finalement du portail Islam Maghribi, site dédié aux actualités sur l’islam au Maroc. Ce dernier rapportait samedi dernier qu’il s’agit d’un revirement dans la position du Conseil supérieur des oulémas du Maroc, mais prend l’information avec des pincettes. En effet, dans l’article en question, Islam Maghribi note que «La voie des savants» n’est qu’un document distribué en marge de la session ordinaire, qui représente non pas une fatwa ou un avis religieux, mais plutôt les visions et opinions d'un certain nombre d’oulémas. La même source cite également Mohamed Yssef, secrétaire général du Conseil, qui aurait précisé lors de la distribution que ce «n’est pas un document officiel du Conseil mais plutôt une formulation de visions et de plusieurs scénarios évoqués dans le cadre des travaux des membres du Conseil.»

De quoi s’agit-il au juste ?

Le document avance que la question de l'apostasie a été depuis longtemps évoquée par l’Islam et continue de faire l’actualité. «Sa compréhension la plus saine et la plus correcte rime avec l’esprit de la loi et des dispositions ainsi que les hadiths du Prophète. Un esprit qui indique que l’apostat est celui qui trahit son groupe, qui divulgue ses secrets (…) ce qui équivaut à la haute trahison dans les traités et lois internationaux», indique le document.

«Le Prophète, que la paix et le salut d'Allah soient sur lui, a dit : ‘quiconque change sa religion, tuez-le’, qui est un hadith dépendant de sa suite ‘celui qui abandonne sa religion et qui trahit son groupe’. L’apostasie, qui n’était alors que le fait de rejoindre un groupe de polythéistes adversaires dans un contexte des guerres, est donc d'ordre politique et non pas intellectuel.»

Si le document était officiel, la nouvelle position du Conseil serait un revirement à 180 degrés. En 2012 déjà, la position était beaucoup plus radicale. «Le musulman qui change de croyance mérite la peine de mort», indiquait le point de vue du Conseil dans un recueil de fatwas (2004 – 2012). Les oulémas s’étaient prononcés après une saisine du ministère des Habous et des affaires islamiques quant à la liberté de religion au Maroc.

Aucune loi sur les apostats

Un châtiment tellement explicite qu’il avait provoqué un tollé avant qu’Ahmed Taoufiq, saisi par une question à la Chambre des représentants, rompe le silence pour expliquer que l’avis émis par le Conseil remonte à 2009, soit deux ans avant l’adoption de la nouvelle Constitution.

«Le Conseil sait mieux que quiconque que le hadith, souvent invoqué comme argument pour l’exécution de l’apostat, est l’objet d’une controverse entre oulémas et ne peut, en aucun cas, remettre en cause le principe de liberté de culte auquel renvoient clairement les versets coraniques», avait-il affirmé.

Contactée par Yabiladi ce jeudi, une source au sein de la Rabita Mohammadia des Oulémas, tout comme d'autres conseils locaux, souligne l’absence de tout avis ou nouvelle fatwa sur cette question. «Ce n’est pas un document officiel et il ne s’agit que de l’avis de cinq oulémas du Conseil supérieur», confie-t-elle.

Ceci-dit, il ne s’agit pas de la révélation du siècle : même si le châtiment serait la peine de mort, le code pénal marocain évoque les moyens de séduction dans le but d'ébranler la foi d'un musulman ou de le convertir à une autre religion (article 220), d’entrave volontairement à l'exercice d'un culte ou d'une cérémonie religieuse (article 221), de la rupture du jeûne (article 222), etc. En somme, tout sauf l'apostasie. Encore faut-il rappeler qu'au Maroc, aucune loi ne s’adresse aux apostats.

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