Plus de trois mois après les élections législatives du 7 octobre, le Maroc attend toujours son gouvernement. Les tractations, elles, sont bloquées. Lundi, en vue de ratifier la Charte de l’Union africaine, étape essentielle du processus d’adhésion du Maroc à l’UA, la Chambre des représentants s’est réunie pour élire un nouveau président et remplacer Rachid Talbi Alami du RNI. Le choix des représentants de la nation s’est porté sur Habib El Malki, ancien ministre de l’Agriculture et de l’Education nationale, candidat unique présenté par l’USFP.
Mohamed Darif : Benkirane «doit s’excuser et reconnaître son échec»
Quel est l’impact de cette élection sur les négociations menée par Abdelilah Benkirane ? Mohamed Darif, à la tête du Parti des néo-démocrates, juge «anormale» l’élection de Habib El Malki en tant que président de la Chambre basse. «Pour la première fois, on remarque que la majorité n’est pas du côté de celui chargé de former le prochain exécutif, puisque Habib El Malki a été élu par 198 voix, soit le nombre qu’Abdelilah Benkirane espérait atteindre pour former une majorité», déclare-t-il à Yabiladi. Et d’enchaîner : «Cela veut dire que le parti que le chef du gouvernement refuse d’intégrer dans la prochaine coalition (l’USFP, ndlr) dispose de la majorité des voix à la Chambre des représentants, au moment où le chef du gouvernement désigné appartient à une minorité, ce qui n’est pas normal.»
«La logique veut que le chef du gouvernement désigné, après cette élection, annonce avoir échoué à former un gouvernement. Mais d’après les informations, Abdelilah Benkirane est toujours déterminé à former son cabinet. Il a continué d’évoquer les partis qui subissent ‘attahakoum’ et de justifier son échec, or ce n’est pas ce qui importe actuellement.»
Le professeur universitaire de sciences politiques explique que «ceux qui affirment que cette élection du président de la Chambre basse n’est pas une première au Maroc» ont tort. «Avec Abderrahman El Youssoufi et l’élection d’Abdelwahed Radi à la tête de la Chambre des représentants en 1998 avant le gouvernement, on voit bien que la situation n’a rien d’exceptionnel. Si le PJD avait proposé un candidat qui avait gagné par la suite, ça aurait été normal. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui», soutient-il. Le chef du gouvernement désigné «doit s’excuser et reconnaître son échec», conclut le patron du Parti des néo-démocrates.
Pour Abdelaziz Aftati, il s’agit d’«une mascarade sans précédent»
De son côté, l’ancien parlementaire du PJD à la Chambre basse, Abdelaziz Aftati considère que l’élection de Habib Malki au Parlement est «sans fondement» et «contraire à la politique, à la démocratie et aux bases constitutionnelles». Le politicien islamiste, sanctionné par le parti de la Lampe suite à une visite à la frontière maroco-algérienne en juin dernier, dénonce même une «prise d’assaut sur la Chambre des représentants après une tentative du même genre sur celle des conseillers, en attendant une autre sur le gouvernement».
«Tout le monde refuse de travailler depuis les rangs de l’opposition, ou alors en faisant appel à la logique des négociations. Tout le monde veut participer au gouvernement, que ce soit de plein gré ou avec des méthodes humiliantes. C’est une mascarade sans précédent.»
Pour Abdelaziz Aftati, les récentes actualités politiques portent un «coup douloureux à l’image du pays à l’étranger». «Certains croient que cette élection sera liée au PJD et à Abdelilah Benkirane, mais elle impactera l’image du Maroc. L’histoire est en train de s’écrire, que ce soit d’une manière appropriée ou préjudiciable à nos intérêts», poursuit-il. Abdelaziz Aftati préfère plutôt critiquer ceux qui ont justifié l’élection du patron de la Chambre basse en invoquant les intérêts suprêmes de la nation, avant de s’interroger : «De quels intérêts parlent-ils ? L’atteinte aux fondements constitutionnels en fait-elle partie ?»
L’ancien député du PJD estime que la formation du prochain gouvernement doit se faire «en conformité avec les principes de la démocratie» ou, le cas échéant, se diriger vers l’organisation d’élections anticipées. Surtout, «ne pas recourir au badinage puisque l’Etat profond n’est pas supérieur à la Constitution», pour reprendre ses mots.
Mohamed El Ghali : un «gouvernement minoritaire» en attenant les élections anticipées
Pour sa part, le professeur de droit constitutionnel et de sciences politiques Mohamed El Ghali considère que le chemin vers la formation d’un nouveau gouvernement reste «dispersé». «La Constitution accorde à l’opposition la présidence de quelques commissions permanentes. Mais où est cette opposition, et même la coalition, actuellement ? Celle menée par le chef du gouvernement ou celle qui a élu El Malki à la présidence de la Chambre basse ?»
Pour lui, ce qui s’est passé lundi témoigne de l’existence d’une «homogénéité, puisque l’article 47 de la Constitution parle de la désignation du chef de gouvernement à partir du parti qui a gagné les élections. Aujourd’hui, nous sommes face à une majorité qui n’a rien à voir avec le parti vainqueur aux élections». L’élection d’El Malki a donc donné lieu, selon lui, à un «paradoxe politique».
«Ce qui s’est passé hier, c’est que la majorité a élu un président de la Chambre des représentants alors que l'opposition a décidé de voter blanc, ou carrément de se retirer. Si les partis politiques ne parviennent pas à établir une coexistence politique, ce qui se passe présentera un grand problème qui ne présage rien de bon quant au rôle des partis et la gestion de la prochaine étape, conformément aux exigences de la Constitution de 2011.»
A l’instar des autres intervenants, Mohamed El Ghali évoque des élections anticipées. «Le scénario le plus probable est l’appel à des élections anticipés. Peut-être qu’Abdelilah Benkirane mènera un gouvernement minoritaire pour gérer pendant un an cette partie préélectorale», dit-il. Si Abdelilah Benkirane décide tout de même de former un gouvernement, «il sera question d’un exécutif qui ne dépassera pas celui de la gestion des affaires courantes et ne pourra pas trancher les questions d’ordre stratégique», conclut le professeur universitaire.