Abdelkader Amara, ministre de l’Énergie, des mines et de l’environnement, ne s’est pas rendu à la COP22. Alors que sa ministre déléguée, Hakima El Haité, était de tous les événements, que le Masen (Moroccan agency of sustainable energy) écrasait la zone verte de sa splendeur, le ministre, son ministère et l’Office national de l’électricité brillaient par leur absence.
Certes, selon la distribution des rôles par le roi à l’automne dernier, le Masen récupère tout ce qui concerne les énergies renouvelables, mais le ministère de l’Énergie conserve encore une fonction primordiale : assurer la libéralisation de la production d’électricité d’origine renouvelable. Depuis la fin de la COP22, samedi 19 novembre, il est même en train d’éplucher les lettres d’intentions déposées par les régies de distribution d’électricité et autres délégataires privés dans le cadre de la libéralisation de la moyenne tension.
Le 19 novembre 2015, le décret n° 2-15-772, paru au Bulletin officiel, donnait un an aux régies et délégataires pour déterminer «une trajectoire composée d’enveloppes annuelles qui représentent le volume d’intégration de l’électricité produite à partir de sources d’énergies renouvelables dans le réseau électrique de moyenne tension de sa zone de distribution pour une périodicité de dix (10) ans».
En d’autres termes, chaque délégataire a eu un an pour déterminer la proportion d’électricité qui peut être fournie par des énergies renouvelables sur toute l’électricité qu’il distribue en moyenne tension dans son périmètre. Selon le décret, cette part sera nécessairement comprise entre 5 et 10% de toute l’électricité appelée en moyenne tension. «Cette trajectoire [nationale], qui est publiée sur le site internet du ministère chargé de l’Énergie est réévaluée, le cas échéant, à la hausse tous les deux ans, en fonction de l’évolution favorable du secteur des énergies renouvelables en moyenne tension», indique encore le décret.
Une échéance de 10 ans
Le processus en cours est trop lent, selon les petites entreprises de production d’électricité d’origine renouvelable. «Le Maroc fait un effort considérable pour déployer les énergies renouvelables à grande échelle, notamment à travers les missions du Masen. Il n’empêche que si l’on veut créer un tissu industriel marocain pour les énergies renouvelables, il faut aussi que les projets de petite et moyenne importance voient le jour. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas à cause du cadre réglementaire. Les enveloppes des régies et des délégataires vont ouvrir le marché très très lentement, progressivement. C’est une démarche très lente sur 10 ans», regrette Amine Lahlou, gérant de Quadran Maroc. Installée au royaume depuis 6 ans, l’entreprise française a dû jusqu’ici sous-dimensionner toutes ses installations et les réaliser directement sur les sites industriels, à défaut d’avoir accès au réseau électrique national et local.
D'après les défenseurs de ces petites entreprises, l’échéance de 10 ans et la progressivité concédées par le décret résultent des pressions exercées par les régies, et surtout les délégataires privés comme Lydec et Veolia. Ces derniers n’ont aucun intérêt à ouvrir leurs réseaux aux renouvelables car, selon la réglementation, ceux qui vont produire cette électricité devront la vendre directement à un client déterminé - un industriel, dans le cas de la moyenne tension -, lequel achète aujourd’hui son électricité à l’ONEE, à un délégataire ou à une régie.
En d’autres termes, les petites entreprises de production d’électricité d’origine renouvelable vont venir prendre leurs plus gros clients aux délégataires. L’arrivée du renouvelable va ainsi modifier les équilibres financiers des délégataires, alors qu’ils agissent dans le cadre déjà étroit de contrats avec les Villes. Ils achètent à l’ONEE l’électricité à un prix fixé et la vendent à un autre, plus élevé, mais également fixé par l’État. Entre les deux, ils doivent se rémunérer, bien sûr, mais également investir dans l’entretien et le développement des réseaux.
Principe de précaution ou résistance ?
«On ne traîne pas les pieds, se défend Jean-Pascal Darriet, directeur général de la Lydec. Cette réglementation est récente. La Lydec travaille avec la direction des régies et des services concédés pour identifier les attendus et les implications de ces nouvelles dispositions. Il faut respecter la réglementation et le faire en veillant à ne pas déstabiliser l’ensemble des acteurs et des opérateurs du système, y compris pour des raisons techniques et de continuité d’alimentation.»
Pour défendre leurs intérêts, les délégataires vont ainsi logiquement jouer sur leur rôle essentiel de gestion des réseaux électriques. «Il s’agit aujourd’hui de voir ce que représente le périmètre qu’il est possible d’ouvrir au renouvelable. Pour cela, il faut être capable de leur proposer aussi tous les services correspondants. On ne peut pas brutalement quitter l’alimentation actuelle sans se poser la question de l’usage, de l’utilisation des réseaux de distribution actuelle et la problématique du secours qui va avec», insiste Jean-Pascal Darriet.
Le Maroc s’apprête-il à vivre avec les réseaux électriques ce qu’il vit déjà avec les réseaux télécoms : une guerre sans fin sur le droit d’emprunter des réseaux dont la gestion est dévolue à des opérateurs privés ?