Ancien militant politique, révolutionnaire, et compagnon de Fquih Basri, pouvez-vous nous replonger dans le contexte de la révolte de Mars 1973 ?
Effectivement, j’appartiens à une génération qui a «mis en équation la monarchie» et celle qui, à un moment donné, a eu pour slogan : «Il n’y a plus de remède à ce régime que son extirpation». En résumé nous avons choisi l’option révolutionnaire allant jusqu’à déclencher la guérilla en mars 1973 et s’allier aux militaires dans leur tentative du coup d’Etat d’août 1971.
Il est nécessaire de rappeler ces faits. La génération actuelle a le droit de connaître la vérité, sans langue de bois ni analyses à posteriori. J’ai été militant de l’UNEM et aussi de l’UNFP pendant des décennies. Nous avons été amenés à recourir à la violence pour faire face à un autisme du Makhzen et une répression de plus en plus violente contre les militants et même contre toute forme de revendication qu’elle soit politique ou économique. Nous refusions la fatalité du sous-développement, de la soumission féodale et la domination impérialiste, même si le mot est galvaudé aujourd’hui.
Pensez-vous que la situation aujourd’hui au Maroc est aussi explosive qu’en 1973, 1981 ou 1991 ?
Nous vivons une autre époque et les méthodes de lutte ne sont plus les mêmes. Les conditions objectives de révolte persistent malheureusement dans notre pays malgré certains acquis dans bien des domaines. Le chômage et la misère, la marginalisation de pans entiers de la société, l’injustice, les disparités sociales et surtout une mauvaise gouvernance. Je ne souhaite pas à mon pays de s’engouffrer dans une zone de turbulence comme ce fut le cas chez nos frères algériens, et je voudrai que le Maroc ne vive plus jamais les massacres de mars 65 ou la répression du Rif en 1958 ou celle du Moyen Atlas en mars 73, qu’il n’y ait plus d’assassinats politiques ni de torture ni de disparitions forcées.
Il y a donc urgence à ce que des mutations profondes soient réalisées dans les structures de l’Etat, dans le mode de gouvernance et dans les choix de développement. Il est anormal de maintenir cette soumission obsessionnelle de Sidi et Moulay. Il n’est pas normal de mélanger la gestion publique et le business. De tels sujets ne peuvent rester tabous comme il n’est pas possible d’accepter les options économiques actuelles sous prétexte que «ça marche». Ca marche pour qui au fait ? Surtout pas pour les millions de chômeurs et de chômeurs déguisés.
La classe politique semble déconnectée des réalités de la jeunesse, le taux d’abstention aux dernières législatives en a été le révélateur. Quel rôle ces politiques peuvent-ils encore jouer aujourd’hui ?
Effectivement il y a une déconnexion totale entre la classe politique dans son ensemble et les aspirations de la jeunesse et même des moins jeunes. Moi-même j’ai démissionné de l’USFP lorsque je me suis rendu compte que le processus démocratique a agonisé et que la direction de ce parti, à différents niveaux d’ailleurs, préfère s’agripper à des postes ministériels ou parlementaires plutôt que de jouer le rôle politique qui lui est dévolu.
Comme vous le dites si bien, le taux d’abstention aux élections est très révélateur. Les partis politiques sont les seuls responsables de cette dangereuse dépolitisation des masses populaires, principalement des jeunes.
Peuvent-ils encore jouer un rôle ? Honnêtement je ne désespère pas des forces réellement militantes dans des partis tels que l’USFP et les autres organisations démocratiques que je connais bien. Il y a des potentialités militantes et il y a en face de nouveaux et d’anciens politiciens, qui veulent vider la vie politique de tout son sens. PAM (ndlr. Parti Authenticité et Modernité dirigé par Fouad Ali El Himma, proche du Roi Mohammed VI) par ci PAM par là, et aussi des forces conservatrices qui veulent imposer un référentiel figé depuis des siècles.
Cet article a été publié dans Yabiladi Mag n°4
Lire aussi l'interview de Souleiman Bencheikh