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Je pleure en regardant cette photo d’une femme, sur une plage, qu’on humilie parce qu’elle porte un voile [Tribune]

Je pleure en regardant cette photo d’une femme, sur une plage, qu’on humilie parce qu’elle porte un voile...

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Ismaël Saïdi est un réalisateur, comédien et dramaturge belgo-marocain, notamment connu pour sa pièce "Djihad". / Ph. Facebook
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Assis sur un banc au parc Josaphat pour la dernière fois de l’été, je pleure…

Je pleure en regardant cette photo d’une femme, sur une plage, qu’on humilie parce qu’elle porte un voile.

Pas une combinaison, pas une burka, pas une ceinture d’explosifs, pas des inscriptions haineuses ou belliqueuses, non, juste un voile… Un morceau d’étoffe posé avec coquetterie le matin devant un miroir, choisi avec attention pour, justement, ne pas trop attirer cette dernière…

Alors je ferme les yeux, je remonte le temps et je pense à ma mère.

Ma mère qui prenait le métro avec moi le matin, son voile sur les cheveux, pour m’emmener aux cours de musique, aux activités, aux sorties.

Je me revois petit, du haut de mes onze ans, je me revois essayer de comprendre les regards que les passagers du métro posaient sur elle.

Ils ne la dévisageaient pas encore avec la peur du terrorisme qu’on peut retrouver aujourd’hui, non, ils la dévisageaient avec ce regard plein de pitié et de condescendance que j’ai souvent revu, depuis.

Les immigrés ont toujours été les nouveaux prolétaires d’une Europe en perpétuelle construction et les musulmans n’y faisaient pas exception.

Ma mère était devenue le combat virtuel de tous ces gens qui n’ont jamais dû se battre, la "faire-valoir" d’une classe moyenne qui voulait se purifier la conscience en pensant l’aider à s’émanciper.

Une charité chrétienne laïque, en fait.

Je les vois et j’imagine leurs réflexions :

«Pauvre femme ! Dire que ça existe encore aujourd’hui, nous somme en 1987 quand même ! On ne devrait pas permettre ça ! Et son mari qui doit se goinfrer, les pieds en éventail sur la table pendant qu’elle nettoie, lave et fait des gosses. Et dire que nos grands-mères se sont battues pour nos libertés !»

Si j’avais pu leur répondre, j’aurais répondu :

«Oui, vos grands-mères se sont battues, mais pas vous ! Aujourd’hui, c’est ma mère qui se bat. Elle se bat pour m’emmener à l’école malgré vos regards dégoulinants, elle se bat pour m’emmener m’amuser près d’un point d’eau en pleine chaleur pour que je puisse avoir des vacances. Elle sait ce que vous pensez, elle sait ce que vous vous dites et elle en souffre, mais comme c’est une battante, ma mère, comme vos grands-mères, elle a décidé de se battre pour que ses enfants n’aient jamais à affronter vos regards et qu’ils gardent la tête haute !»

J’aurais aimé répondre, mais au lieu de ça, je regardais ma mère, du haut de mes onze ans, gêné, et je lui prenais la main que je serrais très fort pour qu’elle comprenne que j’étais fier d’elle et qu’on s’en fout des gens. 

Aujourd’hui, c’est pire qu’avant, mais le petit gars de onze ans est un peu plus âgé.

Alors le petit gars voudrait envoyer ce petit texte à toutes les mères, les sœurs, les femmes du monde entier qui seront un jour verbalisées, jugées, punies, humiliées pour le choix de leur tenue, qu’elle recouvre ou qu’elle découvre leur tête, leur corps, leurs bras, leurs jambes.

Le petit gars voudrait vous envoyer ce petit texte à vous toutes pour vous serrer la main très fort, pour que vous compreniez que je suis fier de vous, comme de ma mère, et qu’on s’en fout des gens…

Tribune

Ismaël Saïdi
Réalisateur
 Réalisateur belgo-marocain. 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com