Comment s’étonner que les sociétés marocaines qui se sont développées ses dernières années grâce aux délocalisations françaises délocalisent à leur tour ? En 2015, alors que le secteur de l’offshoring au Maroc progressait péniblement de 0,97%, contre 2,62% en 2014, selon les dernières statistiques de l’Office des changes, Outsourcia et Intelcia, les deux leaders marocains de l’offshoring investissaient en Afrique francophone.
En 2015, Intelcia, avec 69 millions d’euros de chiffre d’affaires, a lancé une nouvelle implantation pour la première fois en Afrique francophone : Douala au Cameroun. Pour le groupe marocain, il s’agit de créer, en une seule fois, 500 positions. En jeu, les salaires des téléopérateurs plus bas à Douala qu’à Casablanca ou même à Fès.
Antananarivo «offre des coûts en RH les plus compétitifs»
Outsourcia, le numéro 2 avec 12,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014, a ouvert deux nouveaux sites en 2015 à Antananarivo à Madagascar et à Niamey, au Niger, suite à la signature d’un nouveau contrat avec Orange Niger. Chaque site dispose de 50 positions, contre plus de 730 à Casablanca.
«Certains clients recherchent des prix encore plus bas pour certains types de besoins de premier niveau comme les prestations de back office ou le traitement des emails. Pour répondre à cette demande, nous avons choisi Madagascar. […] Cette destination offre également les coûts en ressources humaines les plus compétitifs, parfaitement adaptés à des prestations standardisées», a clairement expliqué à Jeune Afrique Youssef Chraibi, PDG d’Outsourcia.
«Aucun intérêt à cette spirale inflationniste»
Avant d’envisager de s’implanter en Afrique subsaharienne, les opérateurs ont d’abord tenté de réguler la hausse des salaires au Maroc. «A une époque, surtout à Casablanca, les centres d’appels se faisaient concurrence au recrutement, par les salaires. Un jeune commençait dans un centre, puis allait dans un autre parce qu’il offrait 200 ou 300 dh de plus par mois. Ce phénomène s’est beaucoup ralenti. L’Association marocaine de la relation client a beaucoup aidé à faire comprendre aux professionnels qu’ils n’avaient aucun intérêt dans cette spirale inflationniste, face à la concurrence des pays d’Afrique subsaharienne, expliquait Alexandre de Marsigny, DRH de Webhelp Maroc en août dernier.
Les centres de relations clients se sont également rapidement déplacés à l’intérieur même du Maroc. Quand Webhelp s’est installé au Maroc en 2001, la société a immédiatement choisi Kenitra et Salé, puis Fès et Agadir. «Lors de notre première implantation en 2001, nous avons fait le choix de ne pas aller à Casablanca parce qu’il y avait déjà beaucoup d’autres entreprises de relation client qui exerçaient déjà une forte demande sur le bassin d’emploi et provoquaient un turn over des employés très important», indique Alexandre de Marsigny.
Fès Shore et Oujda Shore moins chers
MedZ, filiale de la CDG pour la conception et la gestion de parcs industriels dédiés par activité, a d’abord construit Casanearshore avant de développer Fès Shore, occupé à 45%, et Oujda Shore en cours de commercialisation. «Nous avons quelques nouveaux prospects, mais pour la plupart ce sont nos propres clients», précise Omar Elyazghi, directeur général de MedZ. Dans ses tablettes de communication, le groupe précise : les autres grandes villes du Maroc offre des coûts complets (télécoms, salaire, immobilier …) 14% plus bas que ceux de Casablanca et Rabat.
Le développement en Afrique francophone des opérateurs marocains en marge de leur développement au Maroc s’opère depuis un an seulement. Quelle est la prochaine étape ? Vont-ils délocaliser à leur tour, c’est-à-dire supprimer des emplois au Maroc pour les remplacer par d’autres ailleurs en Afrique francophone ?
Pas de suppression d’emplois au Maroc
«De la même façon que le développement de ce secteur au Maroc ces dix dernières années n’a pas fait disparaître le secteur en France, il n’y aucune raison de penser que le développement en Afrique subsaharienne soit synonyme de départs du Maroc. Le marché est suffisamment important pour que plusieurs pays en bénéficient, et c’est d'ailleurs le cas depuis plusieurs années déjà», rassure Youssef Chraïbi, dans une interview aux Echos.
«Généralement, les opérateurs ne suppriment pas les emplois contrairement à ce que l’on pense. Les sociétés ne peuvent pas tout supprimer et recommencer ailleurs du jour au lendemain : leur investissement en ressources humaines est trop important. Le plus fréquent, dans cette situation de concurrence, c’est que ce soit leur développement qui se fasse ailleurs», explique Samir Guerraoui, directeur commercial offshoring de MedZ. En d’autres termes, les opérateurs marocains peuvent continuer à créer des emplois – la croissance mondial du secteur le permet - mais le feront de moins en moins au Maroc et de plus en plus en Afrique francophone.
Remonter la chaîne de valeur
Si l’offshoring marocain doit laisser partir certains emplois du moins, il cherche à remonter la chaîne de valeur pour trouver un relais de croissance local. «Nos clients peuvent déplacer en Afrique subsaharienne le niveau basique de la relation client où les prix sont les plus bas, tandis que nous nous développons sur des services de e-réputation, sur le digital, de veille sur les réseaux sociaux… au-delà de la simple téléphonie», explique Alexandre de Marsigny.
«Nous avons beaucoup de clients existants qui se développent et de nouveaux contrats essentiellement en BPO et IPO, c’est-à-dire des activités à forte valeur ajoutée», assure Omar Elyazghi PDG de MedZ. D'ailleurs, si Intelcia a lancé son premier site africain à Douala en 2015, il a également ouvert deux nouveaux sites à El Jadida et Rabat.
Remonter la chaîne de valeur au point de reprendre voire d’ouvrir des sites en France. Intelcia et Outsourcia, les mêmes qui ont adopté une stratégie low cost en Afrique francophone ont également, un an auparavant, en 2014, racheté des positions de téléopérateurs en France, pour se rapprocher de leurs donneurs d’ordre. Ils peuvent ainsi assurer les services les plus techniques que leurs clients sont les moins enclin à délocaliser – pression politique oblige ?