Yabiladi : Depuis la fin de l’opération exceptionnelle de régularisation, début 2015, et l’annonce de la nouvelle stratégie nationale pour l’intégration et l’asile, fin 2014, il semble que plus rien ne se fasse sur la question de l’immigration. Les futures lois sur l’Immigration, la Traite et l’Asile n’ont toujours pas été adoptées. Y a-t-il blocage ?
Abdelhamid El Jamri : Il y a aujourd’hui deux dimensions à la politique migratoire du Maroc. Il y a une dimension plus ou moins normalisée en direction des MRE même s’il reste encore beaucoup de choses à faire et une deuxième dimension : les migrations. C’est une question nouvelle pour le Maroc et tout le monde ne sait pas comment se comporter. Aujourd’hui, par exemple, toutes les associations sont concernées, pas seulement celles qui avaient directement affaire aux migrants eux-mêmes. Il faut sortir de ce vase clos. Les migrants sont aujourd’hui une fraction de la société. Le degré de compréhension de cette question n’est pas la même chez tout le monde. Je sais que vous pensez qu’il y a un blocage, mais il y a un effort réel de l’Etat.
Vous appelez le gouvernement à adopter une vision d’ensemble sur la question migratoire, en quoi serait-elle différente de la stratégie nationale adoptée fin 2014 ?
La nouvelle politique migratoire a été lancée en septembre dans une perspective humanitaire parce qu’il y avait urgence. La stratégie lancée par le ministère des MRE est bien, mais c’est une stratégie d’intégration des migrants. Le Maroc doit définir le profil migratoire dont il a besoin en fonction des besoins de qualification du Maroc par rapport à l’activité et au chômage. Ce sont là, les vraies questions et ce sont les mêmes pour la communauté MRE : le Maroc a besoin des compétences de ses propres migrants.
Bien sûr, le Maroc doit prendre en compte ses relations avec l’Afrique et sa position de hub régional, mais il faut également qu’il réfléchisse à une stratégie plus globale qui ne soit pas destinée uniquement aux Subsahariens, car il y a beaucoup de migrants qui ne sont pas déclarés comme tels. Il y a par exemple 4000 personnes qui vivent au Maroc avec le statut de ‘détaché’ qui ne correspond à rien dans le droit administratif marocain. Ils sont donc en situation irrégulière. Il y a aussi un effort à faire du point de vue normatif.
Le ministère été très mobilisé par sa nouvelle charge – les «Affaires de la migration» - et a parfois donné l’impression d’avoir abandonné la question des MRE. Partagez-vous cette impression ?
En 2011, il y a eu la nouvelle constitution qui consacre 4 ou 5 articles aux MRE, il y a également le discours royal du 30 juillet 2015 qui accorde 4 paragraphes au sujet. Cela montre que l’on ne s’intéresse pas qu’aux migrants. Il y a eu également la visite royale au consulat d’Orly en février. [Ainsi que le projet de renforcement institutionnel du ministère financé par l’Union européenne dont une partie est consacrée aux MRE, ndlr]
Pourtant les MRE sont à nouveau relégués au vote par procuration quand les ressortissants d’autres pays ont de plus en plus accès à la représentation politique…
Pour la représentation au Parlement, je sais qu’il y a des négociations entre les partis et le ministère de l’Intérieur pour la représentation des jeunes, des femmes et des MRE. Les discussions sont en cours. 3 ou 4 propositions ont été faites par des partis au Parlement pour cette représentation. Il faut attendre les résultats…
A mes yeux, la question de la représentation politique des MRE n’intervient pas seulement au Parlement mais aussi au sein du CESE, du Corcas, du CCME… La représentation parlementaire apparaît difficile pour certains, alors commençons par faire une place aux MRE au sein des différents conseils, les différentes instances de gouvernance. Pour adoucir le terme de représentation politique, on pourrait parler de représentation dans la chose publique. Ce serait déjà une première étape, un premier pas important. Il faut passer à l’action.
La régionalisation pourrait-elle changer quoi que ce soit à cette représentation politique ?
Avec la régionalisation, on pourrait permettre aux nouvelles régions de concevoir des programmes de coopération décentralisée avec d’autres régions autonome comme en Allemagne, ou en Espagne, par exemple, où il y a des Marocains.
Il faut aussi, plus globalement, que les régions se structurent pour prendre en considération la question migratoire. Il faut sensibiliser les walis et les préfets pour intégrer cette question transversale à tous les aspects de leur interventions : de la gestion de l’état civil à celle des tribunaux.
24% des transferts MRE vont aujourd’hui dans l’Oriental. J’aimerais que les banques se régionalisent elles aussi ! Aujourd’hui, les transferts MRE c’est 60 milliards de dirhams par an via les banques et 40 autres milliards par d’autres circuits. Il faudrait que les fonds mis en dépôt par les MRE dans les banques soit prêtés sous forme de crédit dans la région où ils ont été déposés.
Plusieurs Etats d’Afrique de l’Ouest ont manifesté leur intérêt pour l’expérience marocaine en matière de politique vis-à-vis de sa diaspora. Selon-vous qu’est-ce qui les intéressent le plus ?
La Côte d’Ivoire et la Mauritanie ont demandé à connaître l’expérience marocaine pour éventuellement sans inspirer. Ce sont deux pays démocratiques qui se développent, sortent de leur isolement et veulent entrer en contact avec leur communauté. Ce sont aussi des pays qui signent des engagements internationaux, bénéficient de la coopération internationale et donc à qui l’on demande des comptes à plusieurs titres. En même temps, ils ont besoin des transferts, c’est certain. Je pense que dans le contexte actuel d’insécurité, ils ont également besoin de mieux connaître les flux d’entrée et de sortie. Ils savent aussi que les conditions de vie de leurs ressortissants à l’étranger nuisent à leur image. Il y a aussi la volonté de savoir gérer les situations de crise lorsqu’ils ont déjà vécu des cas d’expulsions massives de leurs ressortissants.
J’ai moi-même accompagné, une délégation de plusieurs ministères mauritaniens en visite au Maroc en 2015. Ils s’intéressaient au renforcement institutionnel, à la question migration et développement [les transferts], les réfugiés et plus largement les migrants vulnérables, et recherchaient à mieux gérer les flux migratoires dans une perspective sécuritaire. Nous devions également collaborer avec le Mali sur l’information et la gestion des migrations de travail en lien avec le travail de l’ANAPEC, mais ça ne s’est finalement pas fait à cause de la guerre qui a suivi.