Chaque année à l’occasion de la fête d’Al Mawlid Annabawi, la petite localité rurale de Madagh, relevant de la province de Berkane, sort de sa quiétude. Pendant quelques jours des milliers de disciples de la zaouïa boutchichie affluent des quatre coins du royaume et également de l’étranger pour y célébrer l’anniversaire du prophète Mohamed. Ce rituel bénéficie même d’une large couverture de la part des médias officiels. Des équipes sont envoyées su place pour couvrir l’évènement. Ce traitement de faveur indigne les autres zaouïas et les salafistes et cette année le vase de la colère a fini par déborder.
«Une hérésie»
C’est Hammad El Kabbaj, un salafiste très actif sur les réseaux sociaux, qui a été le premier à tirer sur le moussem des boutchichis. L’ancien n°2 de l’Association des écoles coraniques de Marrakech a appelé le cheikh Hamza à «se repentir», estimant que ce qui passait dans sa zaouïa «est étranger à l’islam». Le salafiste fait ici référence aux manifestations d’adorations (transes, pleurs et cris hystériques) exprimées par les disciples à la simple vue de leur cheikh.
Ces expressions ne sont d’ailleurs pas propres aux boutchichis mais largement partagées par les autres confréries religieuses où l’«amour» du cheikh, élevé au rang de «saint», est en effet le fondement de toutes ces entités religieuses. Et c’est justement ces rites qui expliquent l’hostilité des figures du salafisme des 19ième et 20ième siècles aux zaouïas, aussi bien au Maroc qu’en Egypte. Ces confréries étaient accusées de diffuser un «islam dévié».
L’Etat parie sur les disciples de Hamza pour contrer les fondamentalistes
M’Hamed El Hilali, un membre du conseil exécutif du Mouvement unicité et réforme, a pris le relais des attaques d’El Kabbaj. Ce proche de Benkirane, récemment nommé directeur de la division des affaires juridiques au ministère de l’Habitat, est allé plus loin dans ses attaques. Il s’est ainsi permis d’établir un parallèle -plutôt bancal- entre la zaouïa boutchichie et l’asile Bouya Omar, fermé récemment par le ministère de la Santé.
El Hilali a été ensuite contraint de faire machine arrière et de présenter ses excuses aux boutchichis. A neuf ou dix mois des législatives, le PJD ne souhaite pas entrer dans une confrontation directe avec la zaouïa de Hamza. Le parti de Benkirane pourrait en effet y perdre des plumes vu la solide assise populaire de la confrérie.
La montée en puissance des boutchichis est l’une des conséquences d’un rapport américain publié en 2004. Trois années après les attentats du 11 septembre 2001, le think-tank RAND (Research And Development), fondé en 1945, avait conseillé l’administration Bush à encourager les mouvements soufis traditionnalistes dans les pays musulmans en vue de circonscrire l’onde extrémiste salafiste.