- Yabiladi.com : Quel est votre sentiment par rapport à la hausse des mariages de filles mineures ?
- Hayat Bouffarrachen : C’est un mélange de désolation et révolte qui m’anime. Cette hausse constante reflète un Maroc à deux vitesses. Nous avons des citoyennes qui recueillent les fruits des avancées géantes vers l’égalité des sexes. A côté, au 21éme siècle au Maroc, il y a des enfants qui subissent une forme d’exploitation, de martyre physique et psychologique. Des adolescentes sont en outre privées de leurs droits élémentaires à savoir aller à l’école.
En ce qui concerne les chiffres, permettez-moi de manifester mon indignation. Les autorités devraient faire le point sur ces milliers d’enfants qui se marient au nom des traditions ou de lʼhonneur. Je suis persuadée que ces adolescentes le font par nécessité, par ignorance ou pour sortir d’une précarité. Et cela malheureusement, avec les bénédictions des adultes voire même des représentants de l’État au niveau local.
- En tant que psycho-sociologue, que pensez-vous des juges qui accordent une autorisation de mariage pour les filles mineures ?
- Effectivement, le législateur s’est donné des moyens afin de pouvoir remédier aux cas spéciaux liés par exemple à des contraintes socio-économiques et socioculturelles. L’article 19 du Code marocain de la Famille autorise les juges à accorder leur consentement pour un mariage précoce en se référant à une expertise médicale et une enquête sociale.
Mais l'aptitude au mariage est très souvent jugée seulement sur critères physiques. Il suffit que la jeune fille soit un peu forte avec des rondeurs et qu’elle ait eu ses règles pour que ladite expertise soit favorable. Où se situe la frontière ? Pour l’enquête sociale, je doute quelle puisse réellement se faire, car il y a un manque cruel de personnels qualifiés pour cela. Les assistantes sociales sont encore très peu nombreuses. Je crois qu'aujourd'hui, cette tâche est attribuée aux «mkadems».
La perception du mariage est problématique. Tous les moyens sont bons pour encourager le mariage d’une jeune fille. La preuve c’est qu’un bon nombre de mariages sont conclus et consommés d’une manière informelle au vu et au su de tout le monde. C’est une affaire de «la jamaa ou la Kbila». Les coutumes et les pressions sociales sont beaucoup plus influentes que la loi et la moudawana.
- Et que proposez-vous ?
- J'ai un appel à lancer en tant que militante mais aussi en tant qu’élue communale. Les querelles des «majalisses» et les petits calculs personnels ne feront pas avancer le pays, on n’est pas élu pour être obsédé par la préparation des prochaines élections ! J’appelle les élus locaux à réagir et à mieux prendre en considération cette question. Il est impératif de passer à l'acte. C’est avant tout le rôle des départements d’Etat. Mais il faut conjuguer les efforts de tous pour contrecarrer ce problème sérieux et sensible qui met à mal la cellule familiale et accroît les problèmes sociaux.