«L’année dernière mon cerveau me disait ‘arrête-toi’. Je n’avais qu’une envie, c’était de m’asseoir sur une pierre et de ne plus bouger. On était à 3200 m d’altitude, il était 4 heures du matin, il faisait très froid. J’avais un ami qui courait avec moi, il m’a dit : «Houda si tu t’arrêtes maintenant tu signes ta mort ; moi, je ne m’arrête pas» et il a continué. Alors je n’ai pas pu faire autrement et je l’ai suivi», raconte Houda Taoufiq Mabileau 48 ans, avec un demi-sourire. Cette grande sportive amateur, mère de famille et propriétaire d’un riad à Marrakech, sera finalement l’unique Marocaine à franchir la ligne d’arrivée du 105 kilomètres en 2014 après 32 heures de course. A l’aube, ce matin, jeudi 1er octobre, elle était à nouveau sur la ligne de départ du même parcours, le plus long des trois que comprend l’Ultra Trail Atlas Toubkal (Utat).
L’Utat a été fondé en 2009. Deux Français passionnés du Maroc, Cyrille Sismondini et Brice Thouret ont créé l’association Sports nature et développement et organisé dans la foulée la première édition de cette course à pied extrême à travers le Haut Atlas conçue selon les critères de l’ultra trail – course de fonds supérieure à 42km en pleine nature. Elle se compose de trois courses : 105km, 42km et 26km. Constituée essentiellement de coureurs européens et américains, la course s’ouvre progressivement aux Marocains.
3 formules pour les résidents nationaux
«Dès le départ, nous avons offert des places et équipés des coureurs des villages avoisinants le parcours du trail, mais nous nous adossions clairement sur la pratique du trail en Europe», reconnaît Cyrille Sismondini. Cette année, les organisateurs proposent 3 formules pour les résidents nationaux : le 26km à 550 dirhams ou 1200 dirhams selon la prestation choisie et 1200 dirhams pour le 42km, toute prestation inclue, contre 350 euros pour les inscriptions de l’étranger. Seul le 105 km, la course principale de l’Utat, n’offre aucune réduction.
Les Marocains s’approprient chaque année un peu plus cette course de haute montagne même si la culture de cette pratique sportive technique et exigeante est encore mal partagée. Rachid El Morabity, grand champion national, natif de Zagora, vainqueur chez les hommes du 105km en 2011, du 26 en 2012 et 2013, et du 42 en 2014, participe à nouveau cette année. «Mon objectif est de gagner le Challenge [26+42km, ndrl]. Ainsi je serais le premier athlète à avoir gagné toutes les courses de l’Utat, annonce Rachid El Morabity. Je me suis bien entraîné pour ça à Zagora, Azilal… C’est difficile, mais j’ai un bon coach pour le moral et le courage.»
"Rachid El Morabity a l'étoffe d'un grand champion"
«Rachid a l’étoffe d’un grand champion, mais il le doit d’abord à sa génétique chanceuse. Nous lui avons mis en place un dispositif d’entrainement avec un coach à distance, un cardio-fréquence mètre et un GPS mais pour que ce soit efficace, il faut qu’il y ait une interaction entre Rachid et son coach pour évaluer les efforts, les points à travailler … or Rachid ne les porte pas toujours. C’est un électron libre», regrette Cyrille Sismondini. Le 23 août 2015, le coureur marocain a arrivé deuxième au 90km de l’UT4M, ultratrail dans la région de Grenoble, derrière Arnaud Lejeune qui détient également le record du 105 kilomètres de l’Utat. «Il a fait la moitié de la course avec le premier, et quand le premier a décidé de vraiment rentrer dans sa course, il n’a pas pu suivre, pour ça il aurait fallu un entrainement rigoureux, en montagne, avec une stratégie précise », analyse le co-fondateur de l’Utat.
En amateure – elle met 32 heures pour réaliser le 105 kilomètres quand les plus rapides le termine en environ 16h30 – Houda Taoufiq Mabileau a pleinement conscience de l’importance de l’entrainement. «Je m’entraîne pour mettre toutes les chances de finir la course en bon état de mon côté. A mon âge et sur ce genre d’épreuve ça ne pardonne pas. Si j’ai une grave blessure cela hypothèquerait ma participation au Marathon des Sables», explique-t-elle. Si Rachid El Morabity cherche à gagner, elle cherche plutôt à ressentir cette plongée en soi-même propres aux grands efforts en solitaire. «C’est une course où l’on est seul avec soi-même, avec son effort, avec la nature », tente-elle d’expliquer.
Pour les coureurs des villages avoisinant de la course, ceux à qui les organisateur offre l’inscription et l’équipement au nom de leur proximité naturelle avec la montagne, l’enjeu est différent. «Pour eux, c’est l’évènement de l’année à ne pas rater ; ils connaissent parfois la course depuis l’enfance. Ils se mettent donc une pression énorme par rapport à leurs proches, à leurs villages, et arrivent à l’Utat usés par des entrainements excessifs. Ils font toute la course à fond et se flinguent !», soupire Cyrille Sismondi. «L’an dernier l’un d’eux était clairement le meilleur sur sa course, mais il était tellement à fond, tellement sous pression, qu’il a fait un malaise. C’était la h’chuma pour lui », raconte-il.