«Il faut régulariser les associations de migrants aussi rapidement que possible», a insisté Driss El Yazami, président du CNDH. La remise de son rapport «Etranger et droits de l’homme : pour une politique d'asile et d'immigration radicalement nouvelle» en 2013 au roi, avait ouvert la voie à la réforme. Hier, mercredi 9 septembre 2015 a eu lieu le séminaire organisé chaque année par le ministère des MRE et des Affaires de la migration pour faire le bilan de la nouvelle politique migratoire.
En 2015, aucune avancée législative n’a eu lieu. Le royaume attend toujours les trois lois structurantes de sa nouvelle approche : la loi sur l’asile, celle sur l’immigration et celle sur la traite des êtres humains. Cette dernière est la seule à avoir passé le cap du Conseil de gouvernement qui l’a adoptée le 30 avril dernier. En parallèle, des dispositions juridiques contre le racisme et la discrimination ont été intégrée au projet de loi portant le nouveau Code Pénal. Au final, seul le Code électoral révisé par les lois organiques d’août 2015 à l’occasion des élections locales intègre désormais le droit des étrangers à participer aux élections locales selon le principe de réciprocité.
Mêmes droits que les Marocains
Pour les immigrés régularisés en 2014, le comité de pilotage interministériel dirigé par le ministère des MRE est parvenu à ouvrir un certain nombre de programmes sociaux limités jusqu’ici aux nationaux les plus démunis. «Les femmes immigrées et réfugiées bénéficient des services du programme de santé maternelle. Elles peuvent être suivies et accoucher gratuitement», affirme Ahmed Skim, directeur des Affaires de la migration au ministère. «Dans les faits, les centres dévolus à ces accouchements renvoient ces femmes vers les CHU, qui leur demande de payer », nuance Stéphane Julinet, responsable du plaidoyer au Gadem, groupement associatif de défense des droits des migrants.
Les programmes de dépistage du VIH, de la tuberculose, le programme Ikram pour les personnes en situation de handicap… sont ouverts, en principe, aux migrants. Le Ramed devrait suivre : «il reste à définir les mécanismes d’attribution de ce droit et d’indentification des bénéficiaires», précise cependant le ministère des MRE dans son document bilan.
Actions exceptionnelles
En parallèle, des mesures ont été prises pour aider expressément les immigrés nouvellement régularisés à s’intégrer. Le ministère des Affaires de la migration et celui de la Formation professionnelle ont financé la formation, par des associations de plus de 2000 personnes (2014-2015) et plus de 175 000 auraient reçu une initiation à la langue et la culture marocaines. 315 enfants d’immigrés ont même pu partir en colonies de vacances.
Deux mesures importantes ont surtout été adoptées pour faciliter l’intégration des nouvelles personnes régularisées au marché du travail. «L’attestation d’activité délivrée par l’ANAPEC [qui assure la préférence nationale, ndlr] n’est pas demandée pour accorder un permis de travail», annonce Ahmed Skim. Une avancée considérable car pour obtenir cette attestation, la démarche exigée des entreprises est longue, lourde et coûteuse. «Mais personne n’est au courant ! s’indigne Stéphane Julinet. Si aucun employeur ne connaît cette décision, il continuera à n’embaucher que des Sénégalais» [cette nationalité est, à l’origine, l’une des rares à être dispensée de cette attestation, ndlr].
«Mais personne n’est au courant !»
Autre avancée majeure, si elle atteint son public, «L’OFPPT [dont les formations sont très demandées par les immigrés, ndrl] a ouvert récemment les portes de ses établissement aux migrants régularisés […] et ce sans passer par les voies diplomatiques traditionnelles», indique le ministère dans son document de référence. Malheureusement, aucune mention n’est faite de ces deux mesures dans le «Guide pratique pour faciliter votre intégration au Maroc» publié par le ministère à l’adresse des étrangers régularisés.
Toute cette politique est aujourd’hui basée sur la situation régulière des migrants, or si la décision a été prise de renouveler automatiquement pour un an la carte de résident de ceux qui ont été régularisés à la faveur de l’opération exceptionnelle de 2014, elle n’est pas appliquée également partout. «A Casablanca et Rabat, il n’y a pas de problème, mais ailleurs les autorités demandent un contrat de travail et un contrat de bail, souligne Eric William de l’association de migrants Alecma.
13 000 kits de survie distribués
Tous les autres, tous ceux qui n’ont pas été régularisés sont ignorés des autorités quand ils vivent au centre ou au sud. Au nord, les autres ont vécu cette année deux opérations de déplacement forcés massives – mais sans violences physiques - des migrants de Gourougou près de Nador et des habitants subsahariens du quartier de Boukhalef à Tanger.
En parallèle, 13 000 kits de survie et packs alimentaires ont été distribués depuis décembre 2014 par le Croissant rouge et d’autres associations partenaires du ministère des MRE. «C’est de la charité ; il n’y a aucune prise en compte des besoins réels de ces migrants et ces opérations sont loin de toucher tout le monde contrairement aux chiffres qui sont annoncés», estime Stéphane Julinet.
Repli sécuritaire en 2016 ?
Dans ce contexte, les migrants restés en situation irrégulière peuvent rentrer dans leur pays par le programme de retour volontaire opéré par l’OIM. Les financements de cette organisation non gouvernementale ne sont cependant pas suffisants pour permettre le retour de tous ceux qui le demandent. En 2015, seules 800 personnes ont pu en bénéficier, contre 1158 en 2014. «Aujourd’hui, nous traitons en priorité les cas des personnes les plus vulnérables », précise Franscesca, représentante de l’OIM à Rabat.
Pour l’année prochaine, le discours du roi, le 20 août, laisse présager une inflexion sécuritaire de la politique migratoire marocaine. Sans s’attarder sur les réalisations de la politique migratoire, il a montré compassion et méfiance vis-à-vis des Syriens fuyant la guerre, avant d’ajouter deux phrases dont le sens dépasse la situation immédiate des Syriens : «Aussi, à l'instar de ce qui a été appliqué auparavant, quiconque est reconnu coupable de violation des lois et des règlements marocains, sera reconduit hors des frontières.» et «Le Maroc ne sera jamais une terre d'asile».