«Nous sommes un peu comme Joseph en Egypte», résume Gueck Beyeth. Aujourd’hui pasteur d’une petite église de maison à Casablanca, il était pourtant mormon en quittant son Congo-Brazzaville natal. « Au Maroc, je me suis d’abord rapproché de l’Eglise évangélique, mais ce n’était pas exactement ma conviction. J’ai, ensuite, rencontré un compatriote congolais qui avait eu un accident. Il avait fondé l’église de maison «Les Semeurs de l’Evangile», il y a 5 ans. Peu à peu, il m’a responsabilisé», raconte Gueck Beyeth. Progressivement, il reprend la tête de cette petite église d’une cinquantaine de membres. Nous sommes dimanche et aujourd’hui, Gueck s’apprête à célèbre le culte dans le salon d’un petit appartement non loin du Port de Casablanca.
En attendant que tous les fidèles entrent, l’un d’eux prie à haute voix devant ses compagnons. Il scande le nom du Christ, les yeux fermés, le visage baigné de larmes. Il balance les bras répète des prières de plus en plus fort, et de plus en plus vite. Face à lui, les autres fidèles, essentiellement des étudiants, seront bientôt une quinzaine, serrés, assis sur des chaises en plastiques. Ils prient avec lui : certains sont debout, la main sur le cœur et le bras levé, d’autres assis, comme prostrés, la tête dans les mains. Chacun prie à haute voix avec ses propres mots. Les voix s’entremêlent et la tension monte avec le niveau sonore.
«Quand on quitte le pays, on ne retrouve pas la même Eglise. Les catholiques, les évangéliques ont des manières de faire différentes. Nous, nous recherchons la foi en commun. Pendant le culte on prend le temps de chanter, même de danser, on laisse les gens prier comme ils veulent. C’est un peu plus festif. On fait même des chants en Lingala, la langue du pays, ça nous fait du bien de penser au pays», raconte Trévor*, congolais, la trentaine. Venu pour ses études, il travaille aujourd’hui dans un cabinet d’analyses médicales. A plusieurs reprises, le pasteur fera appel à lui, pendant le culte pour accompagner les prières à la guitare.
Près de 3000 fidèles au Maroc
Comme la petite église des Semeurs de l’Evangile, une «trentaine d’églises de maison essentiellement francophones et congolaises se sont développées au Maroc depuis 2003, avec 100 à 150 participants par églises », atteste le pasteur Bernard Coyault, directeur de l’Institut œcuménique Al Mowafaqa, à Rabat et chercheur en sciences sociales. Leur nombre dépasse largement celui des fidèles des églises institutionnalisées. «C’est finalement la quasi-totalité du paysage religieux congolais qui se trouve reconstitué dans ce réseau informel d’églises», estime-t-il. «Nous n’avons pas la même interprétation de la bible que les catholiques et les protestants, tente d’expliquer Gueck Beyeth. Nous croyons fort au baptême, au Saint Esprit, mais nous n’utilisons pas le chapelet, nous ne pratiquons pas les confessions, nous ne nous fixons pas sur la date des fêtes religieuses traditionnelles, nous croyons à la dîme, mais n’en faisons pas une obligation. Notre église de maison est très proche de l’idée de l’Eglise primitive», résume le pasteur.
Après la séance de prière, Gueck Beyeth prend la parole. Il invite bientôt une ‘sœur’, Jocelyne*, à témoigner. «Je la connaissais très bien, mais je n’avais jamais su ce qu’elle avant enduré. Vous allez voir comment le Seigneur l’a sauvée», annonce-t-il à la salle. Jocelyne s’avance intimidée. Elle raconte : sa venue au Maroc, la mort de son père et l’argent qui manque soudain pour finir ses études, ses années de galère et finalement son diplôme comme une victoire arrachée.
Familial
Dans les Eglises de maison, «c’est beaucoup plus familial. Chacun peut s’exprimer. On rend visite en groupe aux femmes qui viennent d’accoucher, on offre son aide et des prières particulières (intercessions) à celui qui a des difficultés. La dimension d’entraide, de famille est très forte ; c’est quelque chose qui a disparu dans les églises traditionnelles, alors elles ont développé des structures particulières pour l’action sociale», analyse Jerôme*.
A la fin du culte, après le sermon du pasteur, l’un des fidèles écrit rapidement des noms sur un bout de papier qu’il fait passer discrètement au pasteur. «Prions ensemble pour la sœur Catherine qui est à l’hôpital Ibn Rochd», enchaîne aussitôt le pasteur devant la petite assemblée. Les prières formulées à voix haute se mêlent les unes aux autres, sous la harangue du pasteur, dans une atmosphère exaltée.
Eglises de migrants pour les migrants
La proximité des Eglises avec leurs fidèles est particulièrement forte lorsque l’Eglise de maison rassemble majoritairement des migrants en situation irrégulière dont l’objectif est de passer en Europe. «Le discours et la pratique sont centrés sur les attentes des migrants, prenant en compte les impératifs de la survie au jour le jour (nourriture, toit, santé) et la préoccupation majeure du passage en Europe», analyse Bernard Coyault, dans son article «Africanisation de l’Église évangélique au Maroc : revitalisation d’une institution religieuse et dynamiques d’individualisation», paru l’an dernier.
Le directeur de l’Institut Mowafaqa raconte une scène édifiante à laquelle il a assisté en 2013. L’évangéliste Néhémie, à Rabat, interpelle ses fidèles : «Toi ma sœur, toi mon frère, tu commences même à donner des ordres à Dieu : – ‘‘Jésus, je te donne 3 mois, jusqu’à la fin de cette année 2013 ! […] si mon Dieu n’agit pas je ne vais plus prier’’. […] Mais le silence de Dieu, ce n’est pas que le Seigneur n’est pas là, non ! Il est en train de t’écouter ! […] Peut-être quand tu demandes à Dieu, il est en train de s’occuper de ceux qui sont en Europe. Il y aura un temps où le Seigneur va se tourner vers toi. […] Mais moi je sais qu’un jour… Est-ce que tu peux dire avec moi ‘‘Un jour’’ (tous : – un jour !). One day, je vais quitter le Maroc. One day, le Seigneur me visitera ! […]. Son nom est Jésus-Christ, il va m’amener, même au Canada ! (tous – Amen !). Gloire à Jésus ! »
Eglises hors la loi
Irrégulière, ces Eglises le sont non seulement par le statut administratif d’une partie de leurs membres, mais également par nature. Seules les Eglises évangélique et catholique instituées pendant la colonisation française sont reconnues par dahir et donc légales. «Nous n’avons jamais eu vraiment de problème avec la police, mais c’est bien certain : ils savent ce que nous faisons. Par deux fois, j’ai été retenu longtemps à l’aéroport. La police voulait connaître mes activités. Je leur ai parlé librement. Alors, bien sûr, à chaque fois que je reviens au Maroc, je me demande si je ne vais pas être bloqué, mais non, heureusement !», se rassure Gueck Beyeth.
Face à la tolérance des autorités, les problèmes se situent plutôt avec le voisinage. «Pendant longtemps nous faisions le culte dans un appartement différent à chaque dimanche pour éviter d’avoir des problèmes avec les voisins, à cause du bruit, mais ça n’a pas manqué bien sûr. Un frère a même été renvoyé de son appartement à cause de ça. A présent, heureusement, nous avons gagné la confiance et la compréhension du bailleur de l’un d’entre nous, ainsi que des voisins. Par contre, nous essayons de sortir par petits groupes, pas tous en même temps, pour éviter d’attirer l’attention sur nous», raconte Gueck Beyeth.
Fin novembre 2014, Driss El Yazami, président du Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) a estimé qu’il faudra tôt ou tard construire des églises au Maroc pour les ressortissants de pays africains de confession chrétienne. Il a même fait un parallèle avec les mosquées des caves apparues en Europe faute de mosquées pour les musulmans.