«Votre Majesté, vous seul êtes le garant de l’équité pour chacun de vos sujets et aussi de tous ceux qui sont profondément attachés au Maroc, vous seul pouvez changer le cours de l’histoire !», déclare au roi Mohammed VI l’Association pour le Droit et la Justice au Maroc (ADJM) dans une lettre également adressée au président français François Hollande. Il s’agit d’un appel de détresse face aux multiples affaires de spoliations immobilières qui ont bouleversé et continuent de le faire -depuis de nombreuses années- la vie de Marocains de l’étranger et de Français résidant ou ayant résidé au Maroc.
Le courrier de quatre pages expédié ce lundi 13 juillet au Cabinet royal à Rabat - dont Yabiladi détient la copie fait, après la bataille acharnée menée au cours de ces six dernières années par l’ADJM, un bref bilan de la situation. Certes quelques points positifs sont relevés comme la reconnaissance par l’opinion publique et l’État de l’existence au Maroc du phénomène de «spoliation tentaculaire organisé», ainsi que le «soutien de tous bords» obtenu par l’Association. Mais l’ADJM regrette que le bilan de toutes ces années de dur labeur soit dominé par les aspects négatifs.
«Véritable drame de société»
Les différentes actions entreprises en justice ont en effet permis de découvrir que ce milieu joue un rôle majeur dans l’évolution de la spoliation immobilière au Maroc. «Le phénomène de spoliation est aujourd’hui à un degré jamais atteint !», s’alarme l’Association. «Magistrats, Notaires… Avocats, conservateurs, fonctionnaires, professeurs de Droit…, toutes ces professions, poursuit-elle, sont entachées gravement par des agissements et influences de très haut niveau, au point que le citoyen a maintenant une opinion négative tranchée et désabusée sur ceux qui exercent dans le droit, avec une perte totale de confiance en la justice», argue l’Association, soulignant que cela représente «un véritable drame de société».
L’association dénonce en effet l’usage «avec une aisance déconcertante» de toutes sortes de méthodes par les différents intervenants dans ces affaires de spoliation. Elle cite les documents sans cachets, les greffiers introuvables, les dossiers disparus, les documents illisibles ainsi que les multiples reports d’audiences, pour ne citer que ceux-là. De plus, cette organisation regrette le délai de prescription «ridiculement court (quatre ans)» autorisé par la loi spécifique à la spoliation en cas d’anomalie ou de modification constatée sur un titre foncier. «C’est unique au monde !», s’insurge-t-elle.
Appel au Commandeur des croyants à la veille de la nuit du destin
D’après son secrétaire général, Stéphane Vabre, l’ADJM compte environ 150 dossiers portés devant la justice ainsi que plusieurs autres qui attendent leur constitution. Mais à ce jour, «aucune victime n’a récupéré ses biens pour toutes les raisons exposées, et la stratégie est évidente, attendre que les ayants droit décèdent, ruinés de préférence, voire pousser les plus désespérés d’entre eux au suicide», explique-t-elle dans la lettre citant les affaires les plus médiatisées comme celle du MRE sexagénaire décédé en 2012 ou encore celle de la villa Thuillier toujours en cours.
La «plus grande crainte» de l’Association aujourd’hui est que les victimes ne retrouvent plus leurs droits, d'autant plus que «ceux qui sont à l’origine [de ces affaires] bénéficient d’une telle impunité et utilisent des modes opératoires tellement flagrants que cela pose question». En faisant appel au roi Mohammed VI, l’ADJM ne sollicite pas seulement son autorité étatique, mais aussi religieuse : «en cette veille de la nuit du destin, Laïlatoul kadr et à l’approche de la fin de ce mois sacré du Ramadan, parce-que nous croyons, avec humilité et respect nous nous tournons avec espoir et faisons appel à votre Majesté, Commandeur des croyants».
«La propriété est sacrée en islam»
Rappelant la ferveur de la monarchie depuis Mohammed V en passant par Hassan II dans la bataille pour l’intérêt du peuple, l’Association exhorte le monarque à faire respecter «la justice et les valeurs morales prônées par l’Islam». «L’islam n’a jamais prôné que l’on a le droit de dépouiller son prochain. Au contraire, la propriété est sacrée en islam», affirme à Yabiladi Stéphane Vabre qui a mené ses propres recherches sur la religion.
La lettre désormais transmise au roi Mohammed VI, l’Association pour le Droit et la Justice au Maroc attend impatiemment une réponse du monarque. «On aimerait que sa Majesté se manifeste ne serait-ce que pour nous dire qu’il a entendu nos doléances et qu’il va faire quelque chose», confie M. Vabre, soulignant que les victimes ont beaucoup perdu et elles ont peur de mourir sans qu’il n’y ait eu de changement dans leur situation.