Sarrasins, ou Sarrazins, c'est le nom que l'on utilisait dans l'Europe médiévale pour désigner un peuple de confession musulmane. Thilo Sarrazin, c'est aujourd'hui le nom d'un homme politique allemand, membre du parti socio-démocrate (SPD) et membre de l'exécutif de la banque fédérale allemande. Un homme politique qui présentait lundi, 30 août, un livre sur les problèmes liés à l'intégration en Allemagne, intitulé «L'Allemagne se saborde». Ce que son auteur considère comme «analyse» est truffée de généralisations et de raisonnements racistes qui mettent en cause essentiellement les musulmans, en assemblant des statistiques ethniques.
Depuis une semaine, le débat médiatique s'acharne autour de l'ancien sénateur des finances du Land de Berlin. Certains s'en désolent : «Les thèses que Sarrazin diffuse dans son livre et dans une multitude d'interviews depuis la semaine dernière sont tellement stupides qu'on ne devrait même pas en débattre», s'indigne Robert Misik, journaliste autrichien publiant notamment au quotidien allemand taz.
En effet, ce ne sont pas tant les données elles-même qui font polémique, mais les interprétations qu'en tire Sarrazin, et les généralisations par rapport à ses deux cibles de prédilection : les Turcs et les musulmans.
Ainsi, un manque de compétences dans la langue allemande de la part de Turcs ou de Germano-Turcs devient un refus de s'intégrer en Allemagne. Une moins bonne réussite dans le système éducatif allemand démontrerait que ces populations sont moins intelligentes que les Allemands (de souche). De plus, l'intelligence «se transmettant par les gènes» et les musulmans ayant plus d'enfants que les «Allemands de souche», il s'ensuivrait automatiquement une baisse de l'intelligence moyenne en Allemagne. En général, la religion musulmane toute entière serait incompatible avec le monde occidental. Et bien sûr, l'inéluctable «ils ne vivent que par les aides de l'Etat» ne pouvait manquer dans les propos de Sarrazin.
L'extrême droite allemande s'est réjouie de l'affaire. Le président du NPD, Udo Voigt, s'est même félicité du fait que Sarrazin légitimait les propos de son parti et proposait au social-démocrate de devenir conseiller du parti d'extrême droite.
Pas le même son de cloche du reste de la classe politique allemande. Si la Bundesbank, tout en condamnant les dires de son membre de direction, n'envisage pas de virer Sarrazin pour l'instant, d'autres sont plus catégoriques. De la chancelière allemande Merkel qui regrette les propos de Sarrazin, à son propre parti qui va, selon les dires de son président Sigmar Gabriel, entamer une nouvelle procédure d'exclusion du parti, les critiques sont unanimes.
Pas sûr, cependant, que ces critiques touchent réellement Sarrazin. Après une discussion sur plateau télé, très suivie lundi soir, 70 % des spectateurs se disaient plutôt d'accord avec ses thèses. Sur le site du quotidien Financial Times Deutschland (ftd), parmi plus de 17000 votants (en date du 31.8.2010, 19h15), 54% pensent que l'analyse de Sarrazin est «bonne et correcte», et 30% estiment du moins qu'elle «fait réfléchir». Des pourcentages pas forcément représentatifs, mais indiquant une tendance lourde dans la société allemande. Une tendance qui fait dire à Hilal Sezgin, auteur germano-turque, que les thèses de Sarrazin n'ajoutent qu'un peu de mousse raciste à la vague d'islamophobie qui traverse l'Allemagne depuis un certain temps.