A la frontière de Melilla, tout le monde est sur le qui vive, et ce pas seulement parce-que le pic des départs des MRE implique une très forte affluence aux postes frontière. Moins de vacanciers passent par Melilla que par Tanger ou Sebta, par exemple, mais c'est tout de même Melilla qui fait les Une de plusieurs journaux ces derniers temps. Agressions de citoyens disent les Marocains, attaques de policiers disent les Espagnols. Les attaques et contre-attaques verbales (et physiques) s'accentuent, en triangle entre Rabat, Madrid et le gouvernement local de Melilla, depuis qu'il y a eu une altercation entre 5 Belgo-Marocains et les forces de l'ordre espagnols au poste de frontière de Béni Nsar, le 16 juillet 2010.
Chronologie des confrontations - verbales et physiques
Dès le départ, aucune partie ne fait des concessions où reconnaît ses fautes. Le ministère des Affaires étrangères (MAE) à Rabat dénonçait alors des «dépassements graves» de la police espagnole lorsqu'elle aurait «constaté que lesdits citoyens marocains avaient dans leur propre voiture un drapeau national marocain». Madrid rétorque, parlant d'une une manœuvre «brusque et interdite» de la part des jeunes MRE, à laquelle la police aurait «réagi d’une façon proportionnée». Des citoyens marocains ont ensuite réagi de leur manière, en sommant des vacanciers d'Espagne à cette même frontière d'enlever les drapeaux espagnols de leurs voitures avant d'entrer au Maroc.
Le 29 juillet, Karim Lagdaf, un Marocain accompagné de sa mère, aurait subi des violences au poste de frontière à Melilla. Le 2 août, au même endroit, des nouvelles violences éclatent. Le MAE s'indigne auprès de l'ambassadeur espagnol d'une agression «aux fondements incontestablement racistes» envers Mostapha Bellahcen, un étudiant franco-marocain qui voulait entrer à Melilla avec 1,5 kg de poisson, le gouvernement espagnol dément cette version des faits et parle de réaction «proportionnelle» à l'agression d'une policière. L'incident de la sardine est né.
Un éclaircissement de l'affaire n'a (pour le moment) pas eu lieu. Mais le gouvernement local de Melilla soulève un autre aspect : en ligne avec sa position depuis l'indépendance en 1956, Rabat à évoqué le «territoire occupé» de Melilla, formule qui déplait fortement aux conservateurs du Partido Popular (PP) de la ville. L'incident de la sardine se transforme en affaire d'Etat, et le PP estime même que le gouvernement central est trop mou à l'égard de ce qu'il estime comme pure provocation. Les violences à la frontière seraient bel et bien en augmentation – mais elles sont attribuées aux Marocains et non pas aux gardes frontière.
Contre-attaque marocaine sur un terrain légèrement différent, mais toujours concernant Melilla : vendredi dernier, 6 août, Rabat met en cause les gardes côte espagnoles pour avoir abandonné huit Subsahariens en état critique dans une barque au large de Melilla. Sauvés par les gardes côte marocains, la MAP publie des photos des victimes soignés à l'hôpital de la province M'Diq-Fnideq. Le MAE, quant à lui, «prend note avec regret et étonnement de ce comportement inhumain […] qui reflète en réalité la propension raciste qui marque les interventions de la garde civile espagnole».
La Guardia Civil dément. L'intervention aurait été «correcte», «a aucun moment [le service maritime de Sebta] a abandonné des immigrés qui auraient été au point de mourir», se défend-elle.
Samedi, 7 août : nouveau communiqué du MAE marocain. Il condamne des violences subies dans la nuit du 4 au 5 août (mercredi à jeudi dernier) par M. Ibrahim Abana. Giflé en dehors de la ligne de démarcation à la frontière, il aurait ensuite véritablement été passé à tabac. Samedi même, M. Mohamed Hamdaoui, résidant à Nador, aurait également été matraqué, laissé avec une fracture au bras et plusieurs bleus. Comme l'indique le communiqué, «le gouvernement de SM le Roi dénonce avec force la poursuite de faits violents en série par la police de la ville occupée de Melilla». A Nador, Tétouan et Rabat, des manifestations ont eu lieu ce week-end pour protester contre les dérives de la police espagnole.
Agenda caché ? Ou défense des droits humains à la frontière ?
Une montée en puissance significative de déclarations contradictoires, où un fait semble clair : que le Maroc tente d'augmenter la pression sur les autorités espagnoles. Mais pour quelle raison?
Pour le PP de Melilla, le Maroc tenterait simplement de profiter de la faiblesse actuelle du gouvernement central espagnol de José Luis Rodríguez Zapatero pour affirmer sa volonté d'intégrer Melilla au territoire marocain. Et ce, sans se basant sur de véritables faits avérés.
Mais ce même PP a lancé un débat plutôt approximatif sur le fait qu'à la frontière, les Marocains agresseraient régulièrement des femmes espagnoles. Les policières victimes de machisme, maltraitées à cause de leur sexe, cela ferait même l'objet d'une question du PP de Melilla au sénat espagnol, auquel le gouvernement espagnol devra répondre. Une nouvelle contre-attaque verbale, qui esquive cependant le sujet que le Maroc a évoqué dès le départ : les discriminations à la frontière de Melilla.
Ces discriminations, elles existent. A cette frontière, qui est devenue un des symboles forts de toute une politique migratoire espagnole et européenne restrictive, un symbole de la «forteresse Europe», il est presque normal que des dérives violentes aient lieu.
Dans ce contexte, il peut certes y avoir un agenda caché derrière les multiples déclarations marocaines à l'encontre de l'Espagne. Et il est vrai que les déclarations intransigeantes, notamment envers l'abandon de la barque de Subsahariens, étaient pour le moins inattendues. Ce n'est pas chose courante que le gouvernement marocain prenne la défense de migrants d'Afrique subsaharienne.
Mais c'est un virage qu'on ne peut qu'applaudir. Avant de faire des suppositions hasardeuses sur un agenda caché marocain, il reste à noter que les réactions du Maroc condamnent tout d'abord le mauvais traitement d'étrangers à la frontière de Melilla. Ce sujet qui mérite d'être discuté et toute transgression violente de la part des forces de l'ordre se doit d'être poursuivie. Mais derrière les débats soulevés notamment par le PP dans la presse espagnole, cette discussion et les enquêtes sur les faits semblent s'effacer. Les sardines de Mostapha Bellahcen ne sont toujours pas prêtes à réapparaître.