«Les chercheurs spécialistes des migrations ont des difficultés en ce moment pour travailler au Canada parce que les changements politiques se succèdent rapidement», commence Stéphanie Garneau responsable des études supérieures à l'École de service social de l'Université d'Ottawa. Jeudi 19 juin, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Chris Alexander, a annoncé que les réformes apportées à la Loi sur la citoyenneté qui durcit les conditions d'acquisition de la nationalité canadienne ont été adoptées et ont reçu la sanction royale. Le 8 avril, les premières dispositions étaient prises pour la mise en place dès janvier 2015 du système d' «entrée express» à destination des travailleurs immigrés qualifiés répondant aux besoins du marché du travail. L'automne dernier, le système d'immigration temporaire a été réformé pour protéger les travailleurs. Toutes ces décisions politiques ne sont pas sans conséquence sur les milliers d'immigrés marocains au Canada.
La nouvelle loi sur la citoyenneté augmente le nombre d'années de résidence nécessaire à l'obtention de la nationalité. «Nous avons un gouvernement conservateur qui considère la citoyenneté comme quelque chose qui doit se mériter», explique Hélène Perrin, également chercheure à l'Université d'Ottawa et spécialiste de la politique migratoire canadienne. L'an prochain, il faudra avoir vécu 4 ans en 6 ans au Canada pour demander à être naturalisé.
L'exigence de connaissances linguistiques concernera également les demandeurs les plus jeunes et les plus âgés. «Cet élargissement des compétences linguistiques ne concernent pas directement les Marocains qui sont venus par l'immigration de travail puisqu'il s'agissait déjà d'une condition sine qua non à leur venue, mais elle pourra impacter celles et ceux qui sont arrivés par le biais du regroupement familial», explique Stéphanie Garneau.
Un gain économique évident
Dans le même temps, le Canada va continuer à solliciter toujours plus d'immigrés, mais à la condition qu'ils rapportent un gain économique évident au pays. Le 11 février le gouvernement a annoncé son intention de supprimer le Programme fédéral d’immigration des investisseurs et le Programme fédéral des entrepreneurs. «Des recherches démontrent que les immigrants investisseurs paient moins d’impôts que d’autres immigrants économiques [...]», a justifié le gouvernement dans un communiqué.
Le Canada souhaite donc avant tout une immigration de travailleurs qualifiés. Le système «Entrée Express» prévu pour l'an prochain devrait permettre d'accélérer le recrutement de cette catégorie d'étrangers en fonction d'une liste de métiers à pourvoir répondant au besoin de l'économie. En dépit de leur diplôme, une fois parvenus au Canada, ils doivent souvent et paradoxalement franchir un parcours d'obstacles inattendu. «Certains immigrés - et j'ai rencontré beaucoup de Marocains dans cette situation - malgré leurs diplômes, sont en butte aux ordres professionnelles. Je pense aux infirmières, aux médecins, aux pharmaciens à qui le Canada donne le droit de venir, puis à qui l'ordre des médecins demande une mise à niveau dans une université canadienne. Quand ces immigrés veulent inscrire dans les universités, ils découvrent qu'il y a des listes d'attentes énormes et ne peuvent travailler dans leur profession», raconte Stéphanie Garneau.
3 629 arrivées en 2012
Cette réalité très décevante pourrait expliquer, selon elle, la décision d'un certain nombre de Marocains vivant au Canada de quitter le pays ou pour ceux qui voudraient venir d'y renoncer. Le nombre de nouveaux résidents permanents marocains au Canada a ainsi baissé d'un tiers entre 2010 et 2012, pour atteindre le nombre de 3 629. «Je pense que les Marocains ont anticipé les difficultés rencontrées sur le marché du travail», estime la chercheuse avant d’ajouter qu’«un certain nombre d'entre eux m'a parlé également des discriminations à l'emploi.»
L'immigration temporaire de travailleurs convoqués sur le sol canadien par une entreprise avec l'assentiment de l'Etat a également fait l'objet de réformes à l'automne dernier après avoir été considérée pendant de longues années comme la panacée par Ottawa. «Le nombre d'immigrants temporaires a peu à peu dépassé le nombre d'immigrants passé par le circuit classique. Cette politique du juste à temps extrêmement flexible a entrainé des abus de sorte que le gouvernement a décidé de règlementer plus pour protéger les migrants», explique Hélène Perrin. Le nombre de Marocains résidents temporaires a été multiplié par 7 en 10 ans, mais avec 759 travailleurs temporaires en 2012, il reste infiniment faible en comparaison aux Philippins, aux Américains ou même aux Mexicains.
Dans un reportage de Radio Canada, des Marocains racontent comment ils ont été recrutés par Mac Donald's pour travailler à Amos et Val-d'Or dans la région canadienne isolée Abitibi-Témiscamingue.