Yabiladi : Vous posez l’Asean comme un modèle possible de l’intégration maghrébine, mais pensez vous que le secteur privé maghrébin ait la même maturité pour prendre la tête du processus d’intégration comme en Asie ?
David Laborde : Je pense que la maturité économique n’est pas nécessairement un problème. Quand l’Asean (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) a été créée il y a 20 ans, il y avait aussi des économies moins développées. Je pense qu’en Tunisie, et probablement encore plus avec les évènements récents, le secteur privé va jouer un rôle important. La Tunisie a besoin de réduire le taux de chômage et le secteur privé peut lui offrir les emplois. Il semble, également que les syndicats et le patronat parviennent à s’entendre. La Tunisie peut donc atteindre la masse critique nécessaire. Le Maroc également. Le problème vient de l’Algérie qui reste loin de disposer d’une économie de marché, où le secteur énergétique écrase toute l’économie. L’Algérie est l’élément indéterminé : la plus grosse économie de la région se détourne complètement du secteur privé.
Le Maroc s’intègre toujours plus au marché de l’Union européenne. Un accord de libre échange élargi (ALECA) est actuellement en cours de négociation. N’y a-t-il pas contradiction entre l’intégration européenne et maghrébine ?
La signature de plusieurs accords de libre échange peut effectivement avoir des effets de détournement de flux commerciaux, mais dans ce cas, je ne pense pas. Il faut voir ce qu’on commerce. Les produits tunisiens et européens sont différents, ils n’entrent pas en concurrence sur le marché marocain. Au contraire, si grâce aux accords de libre échange avec l’UE, le Maroc vend plus en Europe, il peut importer des produits, des services de Tunisie. L’accord bénéficie alors aux deux partenaires, dans la mesure où les échanges entre eux ont également été facilités. Grâce à des accords on répartit les étapes de la valeur ajoutée.
Ne pensez vous pas, vu les blocages politiques, que le Maroc a mieux à faire que de s’épuiser à vouloir réaliser une intégration régionale maghrébine, alors que le marché de l’Afrique subsaharienne s’ouvre à lui ?
Pour le Maroc, ce serait s’aveugler que ne regarder qu’à l’est. La RAM, le secteur bancaire et celui des télécommunications ont déjà bien commencé à investir le marché subsaharien. Il s’agit d’une nécessité pour le Maroc et cela peut devenir une opportunité pour le Maghreb. Avec l’intégration maghrébine, il pourra faire partie de ce mouvement. Le Maroc ne doit pas attendre que la situation se débloque à l’est.
Comment analyser alors, le positionnement du Maroc qui investit au sud, veut s’intégrer à l’est et s’attache au Nord ?
Il faut garder à l’esprit que les participations à différents accords de libre échange, à différents ensembles régionaux ne s’excluent pas. Le Chili en est le parfait exemple : il a commencé par signer des accords de libre échange avec l’Europe et les Etats Unis, avant de signer sa participation au Mercosur, puis un autre accord avec l’Australie... Plus un pays signe d’accord, plus il forme de bons négociateurs, à même de mieux défendre ses intérêts dans le cadre d’autres accords commerciaux. Ce qui est dangereux au contraire, c’est de ne vouloir rester lié qu’à un seul partenaire, car l’on crée une dépendance.
Pensez vous que l’intégration maghrébine puisse s’amorcer, comme le veulent les entrepreneurs, sans l’ouverture de la frontière maroco-algérienne ?
A grande échelle, non. Le Maroc et l’Algérie sont les deux plus grosses économies de la région. Le Maroc peut s’intégrer avec la Tunisie, le Levant, la Mauritanie, la Turquie. Ce sera une forme d’intégration méditerranéenne, mais avec la frontière fermée avec l’Algérie, ce sera beaucoup plus compliqué, et l’intégration ne sera jamais complète.