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Tribune

L'économie de rente au Maroc : Un sous-système makhzénien à déconstruire

L’avènement de la première alternance «négociée» sous le gouvernement Youssoufi n’a pas réussi à conjurer le  phénomène de la rente. Son endiguement s’est avéré chimérique tant les pesanteurs historiques sont fortes. Les socialistes ont justifié cet échec par l’existence de poches de résistance. Une manière pudique de ne pas désigner nommément le régime. Le politiquement correct confine chez nous à la complaisance. La seconde alternance, pilotée par le PJD, relèvera-t-elle le défi ? Rien n’est moins sûr.

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La publication des listes des «agrémentés» de transport et des carrières relève-t-elle de la politique spectacle ? La publication des premières listes des propriétaires d'agréments a crée un sentiment de mal-être, de «hogra» au sein de la société. Désabusés, les Marocains attendent du gouvernement des actions concrètes à fort impact.

Le PJD a fait de l’éradication tous azimuts «d’Alfassad», un objectif nodal de sa campagne électorale. Il s’est fixé une obligation de résultat. Imbu de la légitimité électorale de son parti, le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane, s'est, d’entrée de jeu, empressé d’habiter le personnage de Don Quichotte. Quelques mois plus tard, son enthousiasme s’est étiolé.

Au contact du terrain, Benkirane s’est rétracté, au motif que les "diables" et "crocodiles" empêchent son action. Si le PDJ cède aux compromis et à la compromission - scénario probable - il y laissera vraisemblablement des plumes comme l’USFP avant lui. S’amuser à secouer le nid des guêpes ne peut que mener à l’impasse. Comme dit le philosophe allemand Nietzsche : «ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort». L’échec du PJD donnerait un surcroît de puissance à l’institution monarchique.

Au Maroc, le phénomène de la rente existait bien avant l’avènement de la colonisation. Des concepts comme l’aubaine, Al mouna, Al ‘âattaya marquent toujours notre mémoire collective. D’un trait de plume, un Sultan pouvait transformer un sujet plébéien en sujet patricien. Le changement du statut social dépendait le plus souvent du bon vouloir et du tempérament du prince. Au fil du temps - modernisation de l’Etat aidant -, l’économie de rente a revêtu de nouveaux habits.

La rente : levier d’allégeance

Depuis l’indépendance du Maroc, la monarchie pour des raisons intrinsèquement politiques, a érigé la rente en mode de gouvernance, en mode de redistribution des richesses. Le but non avoué ; élargir sa base sociale, et in fine, en faire un levier d’allégeance. Il me semble que notre culture politique a fait siennes ces deux citations de Napoléon Bonaparte. «On gouverne mieux les hommes par leurs vices que par leurs vertus». «Le peuple est le même partout. Quand on dore ses fers, il ne hait pas la servitude».

Qu’on se rappelle l’aphorisme de Feu Hassan II, emprunté à François Guizot (1). S’adressant à ses généraux au lendemain du coup d’Etat manqué de 1972 : il leur avait dit en substance. «Enrichissez-vous». Une exhortation on ne peut plus machiavélo-pragmatique à l’enrichissement illicite et rapide. Cet effacement des valeurs fait imparablement le lit de la prédation sociale. La loi de 2 mars 1973 sur la marocanisation a accentué cette tendance pathologique à l’affairisme et à la prédation. Officiellement, on voulait, par l’esprit de cette législation, favoriser la création d’une nouvelle classe d’entrepreneurs au Maroc. Que nenni ! Les deux tentatives de coups d’Etat de 1971 et 1972 avaient fait vaciller le pouvoir royal. Il fallait donc jeter du lest.

L’exonération des revenus agricoles de tout impôt direct suite à une décision royale en 1984 va dans le même sens. Et ce malgré les recommandations de la banque mondiale qui met en avance le principe de la neutralité de l’impôt. On a justifié cela par les années de sécheresse. Cette exonération, qui se voulait temporaire, a été prorogée à plusieurs reprises. Sera-t- elle reconduite en 2014?

La sécheresse est un phénomène cyclique au Maroc. Notre climat se caractérise par l’alternance des années de vaches grasses et celles de vaches maigres. Les défenseurs de la fiscalisation de ce secteur, en particulier les économistes, estiment que l’imposition des revenus agricoles n’affecte en rien la productivité et la compétitivité du secteur, puisqu’elle vient après le calcul du résultat de l’exploitation agricole et donc des coûts de production. La masse des petits paysans serait épargnée par la refiscalisation de l’agriculture, puisque leurs revenus n’atteindraient pas le seuil de l’imposition.

Cette défiscalisation du secteur agricole est contraire à l’article 17 de la constitution qui dispose, je cite : «Tous supportent, en proportion de leur facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut, dans les formes prévues par la présente constitution, créer et répartir.» Nous sommes en présence d’un cas atypique de violation de l’état de droit fiscal par l’Etat lui-même. Dans le même ordre d’idées, l’article 42 énonce que «… le ROI, chef de l’Etat, veille au respect de la constitution …»

L’agriculture bénéficie actuellement de 23 mesures dérogatoires qui font perdre à l’Etat 3,8 Mds DH/an. (cf : Finances news hebdo du 7 février 2013). Avec la mise en œuvre du Plan Maroc Vert, le montant des aides publiques (subventions et primes à l’investissement) a crû de manière substantielle. Toutes les activités et les facteurs de production sont concernés. Système d’irrigation (petite et moyenne hydraulique), installation de projets de transformation de produits agricoles, d’abattage, de conditionnement etc. (cf : l’Economiste du 18 février 2013).

Commanderie des croyants et rente : une osmose incestueuse

Peut-on tolérer l’économie de rente et son corollaire l’enrichissement illicite dans un pays où l’Islam est la religion d’Etat ? Cette pratique malsaine, inique m’interpelle en tant que citoyen libre de ce pays. «Al- amrbi’lma’rûf, wa- nahy ‘alâ’l- munkir». Cette prescription se traduit par «la commandement du bien et le pourchas du mal». L’économie de rente ne relève-t-elle pas du mal ?

Accorder un agrément de transport, ou une licence de pêche en toute illégalité ; dont la location génère pour son bénéficiaire des dizaines de millions par mois ; ne peut qu’entretenir le nihilisme au sein de notre société et pousser les gens à la radicalisation. Que dit notre constitution, amendée à la faveur du printemps arabe ? Elle dispose, dans son préambule, «que le royaume du Maroc développe une société où tous jouissent de l’égalité des chances …» D’après les statistiques, 70% des agréments de transport sont loués. Certaines carrières de sable, marbre, gravier réalisent un gain de 200 000 DH par jour. L’exploitation des carrières représente un manque à gagner annuel de 5,5 milliards de DH.

L’économie de rente, selon les estimations, représente entre 1,5 et 2% du PIB. Afin d’être en phase avec la lettre et l’esprit de la nouvelle constitution, nous invitons nos décideurs à déclarer nuls et non avenus tous les agréments qu’ils ont injustement et arbitrairement octroyés. Ce sont des biens appartenant à la collectivité. Si encore ces «agrémentés» déclaraient au fisc les agréments qu’ils louent à coup des millions par mois. Outre la scélératesse de l’économie de rente, c’est l’évasion fiscale par excellence qui fait perdre à la collectivité des milliards de dollars par an.

Quelque soit son substrat social, l’agrément est un acte anti-citoyen. L’assistanat par l’octroi de privilèges ne constitue pas une façon efficace pour lutter contre les inégalités sociales, un rempart contre la «salafisation» rampante de la société marocaine. L’économie de rente segmente la population, institutionnalise une citoyenneté à plusieurs vitesses, fragilise les liens sociaux et du coup, le sentiment d’appartenance citoyenne à son pays.

(1) chef du gouvernement sous la monarchie de juillet 1830-1848 et dont le souverain fut Louis-Philippe Ier

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M'hamed Alaoui Yazidi
Cadre supérieur retraité de l'administration publique
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