Le scrutin européen des 8 et 9 juin a confirmé l’avance des partis de droite sur les autres tendances politiques au sein du Parlement de l’UE. Ainsi, les conservateurs sont en tête dans 14 Etats membres, dont l’Espagne, l’Allemagne et la Pologne. Les sociaux-démocrates ont enregistré des victoires particulièrement au Portugal, en Suède et à Malte, ou encore au Danemark et aux Pays-Bas, en coalition avec les écologistes. Ces résultats en demi-teinte ont par ailleurs donné un avantage historique à l’extrême droite dans cinq pays, dont la France et l’Italie.
En Espagne, le Parti populaire (34,2%) a légèrement devancé les socialistes du PSOE (30,2%). Ces derniers sont suivis de la formation d’extrême droite Vox (9,6%), puis de la coalition Ahora Repúblicas (4,9%), qui rassemble la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), celle basque (Bildu) et galicienne (BNG). Membre du gouvernement Sánchez, Sumar (4,7%) est quant à lui relégué à la cinquième place.
En Espagne, le PSOE détrôné par le PP
Président de la Fondation Ibn Battuta en Espagne, Mohamed Chaïb Akhdim a commenté ces résultats auprès de Yabiladi, en soulignant «la montée de deux partis d’extrême droite, ouvertement anti-migration et particulièrement antimusulmans, parallèlement au constat inquiétant du taux d’abstention qui a été globalement élevé». Ancien élu socialiste aux parlements régional catalan et national espagnol, il estime que «cette abstention s’observe aussi et en particulier auprès de nos binationaux en droit de voter, qui ont été rares à participer à ce scrutin».
Source : touteleurope.eu
«Nous avons 500 000 Hispano-marocains qui constituent un poids électoral conséquent – que certains partis ayant réussi à décrocher un siège n’ont d’ailleurs pas – mais dont peu se rendent aux urnes lors du suffrage européen, car beaucoup ne se sentent pas concernés par cette échéance», déplore Mohamed Chaïb. Or, pour l’ancien député, «la réalité est que les décisions relevant de la politique nationale en Espagne sont intimement liées et tributaires du paysage politique de l’Union européenne, d’où l’importance de s’exprimer par le vote, encore plus pour les binationaux qui doivent avoir leur mot à dire dans la politique qui définit leur quotidien».
«C’est cette cartographie issue des urnes au niveau européen qui oriente les politiques sectorielles nationales de l’emploi, de l’éducation, de l’intégration, de la migration… Si vous ne faites pas de politique, quelqu’un d’autre la fera à votre place.»
Pour toutes ces raisons, l’acteur politique et associatif pense «non seulement qu’on ne peut pas rester en retrait de la vie politique, mais qu’il est nécessaire aussi de faire un travail spécifique auprès de nos binationaux, afin de promouvoir leur participation». «Ils constituent une communauté importante en Espagne, leur contribution socioéconomique est incontestable, mais ils restent majoritairement en retrait de la vie politique et des fonctions électives», regrette-t-il.
Selon Mohamed Chaïb, «même nos instances nationales compétentes au Maroc gagneraient à travailler sur cette question auprès de nos MRE, afin de les conscientiser sur les dynamiques décisives qui définissent notre présent et notre avenir commun».
Le camp social-démocrate prend de l’avance aux Pays-Bas
Telle une lueur d’espoir aux Pays-Bas, encore plus après les législatives de novembre 2023, la coalition sociale-démocrate avec les écologistes (21,6%) a pris le dessus sur l’extrême droite (17,7%). Elle est suivie du centre-libéral (11,6%), puis des conservateurs (9,7%). Historienne à l’Université de Leiden, spécialiste de l’Histoire de la migration marocaine, Nadia Bouras estime auprès de Yabiladi que la présence de candidats issus de l’immigration «a poussé des électeurs binationaux à se rendre aux urnes».
Le leader de l’extrême droite néerlandaise (PVV) Geert Wilders
Dans ce sens, l’enseignante-chercheuse rappelle que l’aile sociale-démocrate compte parmi elle Mohamed Chahine, l’un des députés d’origine marocaine les plus connus du pays. «Sa notoriété a certainement fait sentir à des concitoyens qu’ils étaient concernés, les incitant à aller voter», analyse-t-elle. «L’arrivée de la coalition avec les Vert en tête est un véritable soulagement pour nous, avec des résultats différenciés du récent scrutin législatif», souligné Nadia Bouras. Malgré l’important taux d’abstention autour de 46%, la participation aura «eu son impact et les démocrates ont enregistré un résultat meilleur qu’il y a cinq ans».
Par ailleurs, la question migratoire est restée parmi les sujets principaux de la campagne électorale, dans le prolongement du dernier scrutin législatif, dont le contexte fait encore partie de l’actualité quotidienne aux Pays-Bas. «Lors de cette échéance, l’extrême droite a capitalisé sur cette thématique avec des positions résolument hostiles. Une coalition gouvernementale a été annoncée et nous verrons ce que les prochains mois nous réservent», nous déclare Nadia Bouras.
«Toujours est-il que les résultats des Pays-Bas aux élections européennes constituent une avancée positive, mais au milieu d’une tendance globale où nous observons une confirmation de la montée de la droite et de l’extrême en Europe. Il y a lieu de s’interroger sur ce que cela signifie pour nos valeurs européennes de la démocratie.»
Source : touteleurope.eu/
Dans ce contexte, l’historienne souligne que «les partis centristes semblent disparaître peu à peu, en adoptant un agenda extrémiste, ce qui renforce la droite en la rendant encore plus extrême». «A long terme, c’est très problématique, lorsqu’on sait que cette tendance politique gagne de plus en plus de sièges car elle sait mobiliser ses électeurs», s’inquiète Nadia Bouras. «Il me semble qu’à travers le monde, nous sommes globalement dans une époque politique en plein essor, caractérisée par des génocides, une déperdition des valeurs démocratiques et un non-respect du droit international, ainsi que du référentiel universel», déplore encore la chercheuse.
L’Italie s’enfonce avec l’extrême droite
Deux ans après les élections législatives de septembre 2022, l’extrême droite italienne s’ancre désormais aussi dans l’échiquier politique européen. Ainsi, la formation gouvernementale de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, a raflé 28,8% des suffrages. Elle est suivie du Parti démocrate (24,1%), du Mouvement 5 étoiles (10%), de Forza Italia (9,6%), de la Ligue (9%), puis de la coalition de gauche avec les Verts (6,8%).
Journaliste et éditorialiste à La Repubblica et à La Stampa, Karima Moual a déclaré à Yabiladi que la participation des électeurs marocains avait été certainement conséquente, «car il s’agit de l’une des plus importantes communautés d’origine étrangère parmi les naturalisés, ayant la citoyenneté italienne et donc en droit de voter». En Italie, «les Marocains sont actifs et impliqués dans la politique depuis quelques années déjà. En effet, on voit de plus en plus de visages issus de l’immigration dans la vie politique, notamment dans les conseils municipaux», souligne-t-elle.
«Cette année aussi, dans différentes communes, il y a eu une bonne présence de jeunes qui ont réussi à intégrer les différents conseils municipaux. Ces données sont très importantes, car elles mettent en évidence l’émergence d’une génération consciente, passionnée par le sort de son pays d’accueil et qui participe activement à choisir celui qui doit la gouverner, notamment au niveau européen, dans le cas présent.»
Matteo Salvini, Silvio Berlusconi, Giorgia Meloni et Maurizio Lupi (g. à d.) / Ph. Gregorio Borgia - AP
Pour autant, Karima Moual estime que les résultats italiens du scrutin européen sont «sans surprise», encore plus avec l’élection de Meloni depuis 2022. «La montée de l’extrême droite en Europe est une vague qui traverse lentement le continent, alors que dans notre pays, il existe déjà un gouvernement d’extrême droite qui vise à compter et à changer l’Europe avec de nouvelles alliances et stratégies», analyse-t-elle.
Cependant, «il y a un autre fait qui doit être pris en compte dans ce match électoral : en Italie, l’écart entre le parti de Meloni et le Parti démocrate avec Elly Schlein n’est que de 4%», souligne encore la journaliste, précisant que Fratelli d’Italia «perd quelques points par rapport à il y a deux ans, tandis que la formation démocrate gagne près de 5%». A cela s’ajoute «la réduction de moitié des votes pour un autre parti d’extrême droite, celui de la Lega de Matteo Salvini, grand ami et allié de Marine Le Pen» en France.
«Les forces politiques de gauche et modérées seront confrontées à un défi de taille. C’est à eux de jouer le jeu du mieux qu’ils peuvent, mais je crois que cela ne sera possible qu’avec une grande opération de vérité et un changement radical de stratégie et de vieux paradigmes. En Europe, il existe également un important choc générationnel. En Italie et même à l’étranger, la gauche a été majoritairement élue par les jeunes entre 19 et 30 ans.»
Dans cette configuration, Karima Moual note «un exploit notable d’une autre formation plus à gauche, à savoir la Gauche italienne», qui a doublé ses résultats par rapport aux précédentes échéances européennes. Pour la journaliste, «cela signifie que tout n’est pas définitif, d’autant que l’abstention lors de ces élections a été la plus élevée : un Italien sur deux n’a pas voté».
«Giorgia Meloni a adouci le ton, depuis qu’elle assume une responsabilité gouvernementale, car les défis auxquels elle est confrontée sont grands et concernent avant tout l’économie», ajoute Karima Moual. Dans ce sens, elle souligne que la baisse du parti au pouvoir est «un signal» que «les électeurs suivent les pas» de la présidente du Conseil des ministres italien, avec la capacité de la sanctionner.