Ils sont encore là, aujourd’hui, lundi 17 décembre, au milieu de nulle part, à attendre que le Maroc ou la Mauritanie veuille bien les accepter. 11 personnes, dont un garçon en bas âge, sont retenues, depuis mardi 12 décembre, à l’intérieur la bande de 5 km de large qui sépare la frontière sud du Maroc, de la frontière nord de la Mauritanie. 5 km de désert rocailleux et glacial balayé par un vent vif.
Ces 7 Congolais dont un couple avec ses deux enfants, un Guinéen et un Libérien ont été expulsés par le Maroc, rapporte la Voix de Nouhadibou, un quotidien mauritanien. «Nous avons été gardés à vue durant deux semaines, mal traités, notre argent et nos affaires ont été pris par les policiers marocains», a expliqué l’un des expulsés qui a joint au téléphone le quotidien. «Nous souffrons du froid, des intempéries. Nous n’avons commis aucun crime», indique, au bout des larmes, l’un des hommes expulsés. Le Maroc, par cette expulsion est hors la loi. «L’article 26 de la loi 02.03 interdit toute expulsion de mineurs», souligne Khadija El Madmad, avocate et titulaire de la chaire UNESCO Migration et droits humains.
Un garçonnet de 2 ans
Samedi 15 décembre, des associations mauritaniennes et un représentant du Haut Commissariat au Réfugiés se sont rendus sur place pour offrir des vivres et quelques couvertures à ces personnes. «Le Maroc refuse de les réintégrer et la Mauritanie refuse de les recevoir. Elle propose de les renvoyer dans leur pays, mais eux mêmes refusent», explique Youssouf Athié. Journaliste pour La Voix de Nouadhibou, il les a rencontrés avec le HCR, samedi. «Ils vivent dans des conditions très difficiles. Actuellement, il fait très froid et ils n’ont même pas de tente, juste des petits abris qu’ils ont pu installer avec des couvertures», raconte-t-il. Ils attendent à présent un compromis sur leur situation. «Ils sont prêts à rester en Mauritanie, en situation de réfugiés, mais pour l’instant les autorités n’ont pas accepté», explique Youssouf Athié.
Les 11 personnes bloquées dans le no man’s land maroco-mauritanien affirment êtres arrivées légalement au Maroc, par Oujda avant qu’on ne leur vole leurs papiers. Ils disent qu’ils ont vécu 2 ans à Rabat, mais qu’il devenait trop difficile de trouver du travail, là bas, alors ils se sont dirigés vers Laayoune. Ils n’en ont pas dit plus sur leurs intentions, au journaliste de la Voix de Nouadhibou, mais la position de cette ville marocaine, juste en face de des îles Canaries espagnoles, ne laisse guère de doute sur leur volonté de passer en Europe.
La route des Canaries rouverte ?
«Il y aurait, en ce moment, une reprise des tentatives de passage vers les Canaries. Comme les frontières des enclaves espagnoles au nord se sont renforcées, les migrants se redirigent vers le sud», explique Stéphane Julinet, chargé de programme droit des étrangers et plaidoyer pour le Groupe Antiraciste de Défense et d’Accompagnement des Migrants (GADEM). De la même façon que les migrants en situation irrégulière arrêtés à Rabat, et dans tout le nord du royaume, sont renvoyées à la frontière algérienne, au niveau d’Oujda, les clandestins, interpelés au sud, sont refoulés à la frontière la plus proche : celle avec la Mauritanie.
Leur situation, aussi dramatique soit-elle, n’est pas exceptionnelle. «Des cas comme celui-ci étaient nombreux, entre 2006 et 2009, mais depuis un an ou deux il ne s’était rien passé de tel», indique Youssouf Athié. En 2005, la pression migratoire sur les frontières de Sebta et Mélilia a été exceptionnellement forte. A l’époque, 600 migrants pouvaient participer à une seule tentative de franchissement de la barrière. Plusieurs d’entre eux étaient morts.
Manque d'information
Suite à ses drames et avec la fermeture de la frontière au nord, beaucoup de migrants se sont immédiatement dirigés vers l’autre porte sur l’Union européenne : les îles Canaries. «Ainsi, au cours des 9 premiers mois de 2006 (du 1er janvier au 20 septembre), près de trois fois plus de migrants sont arrivés sur l’archipel canarien par rapport à ce que ce même archipel a reçu au cours de toute l’année 2002», explique Mehdi Lahlou, professeur chercheur à l’INSEA de Rabat et spécialiste des migrations internationales.
Cet été, les Espagnols ont estimé que le nombre de migrants à vouloir passer illégalement à Mélilia n'avait «d'égal que ce qui s'est passé en 2005». Si le nombre de migrants est en réalité bien inférieur, c’était tout de même la première fois qu’il est aussi élevé depuis 2005. Le renforcement de la frontière par les Espagnols, aidés par les Marocains, a été immédiat. Le sud et les Canaries deviennent à nouveau une possibilité de passage vers l'Europe, «sauf que nous avons beaucoup moins d’informations dans cette zone, souligne Philippe Julinet, et que la situation doit être encore plus difficile au sud qu’à Oujda.»